Enfin, l'amateur des lettres italiennes retiendra le nom de Vincenzo Consolo (Le sourire du marin inconnu), un auteur à suivre...

Adaptations

À la liste déjà longue des romans en langue anglaise qui ont fait l'objet d'une adaptation cinématographique — Tom Jones, Barry Lindon, Women in love, Orange mécanique, etc. — viennent s'ajouter désormais Les Européens de Henry James et Tess d'Uberville de Thomas Hardy. L'adaptation, qui n'a pas que des vertus puisqu'elle exerce une contrainte sur la liberté d'imaginer de tout un chacun, a cependant le mérite de transformer nombre de spectateurs en lecteurs d'œuvres oubliées ou négligées ; en l'occurrence, celle d'un des plus grands écrivains anglais de la fin du siècle dernier.

Hardy partage avec Shakespeare une même conception de la tragédie : la misère d'un destin individuel ne s'explique que par le tragique d'une époque, que par l'action des forces déchaînées dans le temps où ce destin s'accomplit. Aussi Jude l'obscur est-il le roman de la tragédie de la demi-instruction et Tess d'Uberville, l'histoire de la tragédie de la séduction et du désir comme disgrâces, de la destruction, dans le conflit entre l'instinct et la loi sociale disait T. Hardy, d'une fille jolie mais pauvre... temps de l'impossibilité du bonheur, temps de l'anéantissement des faibles et des démunis, temps où la formidable machine d'oppression victorienne tournait à plein régime, temps de T. Hardy. Le nôtre ?

Au regard de ce pessimisme lucide, Henry et Caton, une tragédie familiale dans une mise en scène romantique de Iris Murdoch, paraît un peu pâle.

Délaissant le manuscrit de Une beauté russe pour les plaisirs du cabaret, Vladimir Nabokov vint-il s'asseoir à la table de Christopher Isherwood ? On peut en douter, car Adieu à Berlin (adapté sous le titre de Cabaret par Bob Fosse), livre pourtant riche en personnages pittoresques et en instantanés un peu jaunis mais saisissants de l'Allemagne des années brunes, ne contient pas la moindre allusion à un jeune écrivain émigré russe.

La réédition de Crime passionnel de Ludwig Lewisohn, dans une traduction d'Antonin Artaud, est bienvenue à un moment où la littérature juive américaine suscite un intérêt croissant ; pour en savoir davantage sur ce courant culturel bien particulier, on lira avec profit l'étude que lui consacre Rachel Ertel, Le roman juif américain. Il est inutile de rappeler le rôle que joue I. B. Singer (Passions) dans la conservation d'une tradition renouvelée par des écrivains aussi fameux que Saul Bellow ou Malamud. Quant à Philip Roth, sa réputation d'auteur satirique n'est plus à faire. Du côté de Portnoy, Le sein sont des croquis plein d'humour des intellectuels new-yorkais, dont Roth aime à décrire les mésaventures littéraires et les aventures sentimentales ou plutôt érotiques. Son dernier roman, Le professeur de désir, a surtout le mérite de restituer le charme incomparable de Prague ; la beauté de ces pages fait oublier la légèreté d'une intrigue conventionnelle.

Coupables

Prague est, on le sait, la ville où vécut Kafka. Mais, dans la nouvelle de Härtling (Pour Ottla dans Nous plaidons coupable), Franz apparaît à peine : c'est à la sœur de celui-ci, Ottla, morte en 1942 à Auschwitz, que l'auteur de Niembsch ou l'immobilité et de La fête de famille a dédié cet admirable récit venu d'Allemagne, qui nous enjoint de ne pas oublier les victimes et de ne pas pardonner les coupables. Nous plaidons coupable contient également trois autres nouvelles respectivement de Heinrich Böll, de Adolf Muschg et de Gabriele Wohmann.

Il ne faut pas confondre Robert Walser et Martin Walser. Le premier est un écrivain suisse-allemand, mort en 1956, que les éditeurs français ont décidé une fois pour toutes d'ignorer, ce qui est fort dommage. Le second, en revanche, a été révélé en France par une pièce, Chêne et lapins angora, et des romans, La licorne, Je ne sens pas bon, critiques grinçantes de la société capitaliste et de son cortège d'aliénations. Le cheval qui fuit nous invite à assister, avec ce détachement feint de rigueur dans toute expérimentation cruelle, à la confrontation de deux couples de vacanciers quadragénaires : une parabole des illusions et des échecs de la petite bourgeoisie intellectuelle.