Après Conversation à la cathédrale, où un petit bar de Lima se transformait en laboratoire d'analyse spectrale des composés sociaux et politiques de la dictature, Mario Vargas Llosa change de registre et propose un récit autobiographique où l'humour le dispute au burlesque : Tante Julia et le scribouillard. Conduit avec une verve échevelée, ce traité du style est la transcription pour machine à écrire des valses nobles et sentimentales de fiancés en folie...

Les fervents de Jorge Amado, peintre incomparable du Nordeste brésilien, goûteront la saveur assez crue des aventures, riches en rebondissements et brillamment colorées, d'une moderne Moll Flanders des tropiques, Tieta d'Agreste.

Et pourtant, elle tourne !

Sous cette manchette, empruntée pour l'occasion à Galilée, un hebdomadaire manifestait récemment à propos de l'Italie un étonnement ingénu. Rien de plus paradoxal en effet aux yeux des Français qu'un pays qui, bien qu'en proie aux maux les plus redoutables — « malgoverno », instabilité gouvernementale, terrorisme, crise endémique et multiforme — et privé de la sagacité d'un grand économiste et d'un président inspiré, continue de « tourner ». Mais les Italiens possèdent, outre la modestie et une ingénieuse, tranquille capacité d'adaptation, la passion de l'expérimentation sociale.

« L'Italie est aujourd'hui le pays de toutes les folies et de toutes les sagesses », déclarait Italo Calvino (Le corbeau vient le dernier) en présentant son dernier roman, en cours de traduction, Si une nuit d'hiver un voyageur, suite d'histoires sans fin, variations sur un thème, la lecture, avec un unique motif, le lecteur ou la lectrice.

Cette égale disposition à la folie et à la sagesse semble assez féconde si on en juge par la vie culturelle italienne, dont la revue Change, sous le titre L'Italie changée, propose un aperçu intéressant.

Pasolini a beaucoup contribué à ce changement. Son œuvre de poète, de romancier, d'essayiste, de cinéaste se soutient d'une interrogation inlassable sur les transformations de la société italienne et de ce qu'il y advient du désir, d'une réflexion volontiers caustique et paradoxale sur la continuation de certains aspects du fascisme sous d'autres masques et sous d'autres noms. Réflexion intempestive. On fit taire la voix de ce « Simon de notre désert » une nuit de novembre 1975 à Ostie (Pasolini : chronique judiciaire, persécution, exécution ; livre collectif, sous la direction de Laura Betti). Restent des livres (Écrits corsaires, Saint Paul, La divine mimésis), des guides de l'Italie des années 70.

Leonardo Sciascia (Du côté des infidèles ; Fables de la dictature ; La Sicile, son cœur) est probablement le romancier italien le mieux connu en France, où ses chroniques siciliennes sont accueillies avec intérêt par un vaste public. Il n'en va pas de même pour les livres d'écrivains de la première moitié du siècle, comme Tomaso Landolfi ou Alberto Savinio, dont la notoriété n'a souvent pas dépassé un cercle restreint de connaisseurs.

Landolfi (La jeune fille et le fugitif) était certainement ennemi du bruit, car, dans la mort survenue l'année dernière à Florence et passée presque inaperçue, il ne s'est pas départi de l'extrême discrétion dont il fit montre au cours de sa vie, tout entière consacrée à l'écriture de récits et de contes d'un romantisme fantastique comparable, l'insupportable fatuité en moins, à celui de Barbey d'Aurevilly.

Achille énamouré est le quatrième livre de Alberto Savinio traduit en français. Surréaliste comme son frère le peintre Gorgio de Chirico dont il partage le goût pour la mythologie grecque, érudit éclectique à l'instar de son ami Apollinaire, Savinio est un moraliste plein de fantaisie, aussi à l'aise dans la biographie divagante (Maupassant et l'autre), où chaque destin prend une dimension mythique, que dans le réflexion métaphysique sur les particularités les plus infimes de la vie quotidienne. Lire Savinio, c'est descendre le fil d'une lente rivière dont les méandres ménagent les points de vue les plus inattendus sur un arrière-pays insoupçonné.