Âgé de 73 ans, le no 1 soviétique tient toujours les rênes et, à l'étonnement de tous, semble avoir retrouvé, à la fin du premier semestre 1980, une seconde jeunesse. Sa démarche est moins saccadée, ses traits ont perdu leur fixité et son élocution s'est améliorée. Les vacances prolongées qu'il a prises en mars et en avril 1980 n'expliquent pas tout, et des rumeurs insistantes, recueillies à Moscou, mettent au crédit de cette métamorphose les soins d'une guérisseuse de Tbilissi, capitale de la Géorgie, Djouna Davitachvili.

À deux reprises notamment, en 1979, la santé de L. Brejnev avait suscité les plus vives inquiétudes. Ainsi, le 18 octobre, alors que l'Union soviétique vient de fêter les quinze ans de pouvoir du successeur de Nikita Krouchtchev, des bruits provenant notamment des milieux boursiers de New York, Londres et Paris font même état de sa mort. Mais, absent depuis le 6 octobre, il réapparaît le 24 sur la scène publique. C'est la seconde alerte de l'année. Déjà, en mars, il avait dû reporter d'un mois la visite de Valéry Giscard d'Estaing à Moscou.

À chaque occasion, les hypothèses les plus diverses sont émises sur le mal ou les maux dont il souffrirait. Le Kremlin, lui, continue à observer à ce sujet la plus totale discrétion.

Démission

Autre vieillard d'importance dont la santé fait couler beaucoup d'encre : le no 2, Alexeï Kossyguine, 76 ans, président du Conseil des ministres. Invisible depuis le 17 octobre, date à laquelle il avait, en l'absence de L. Brejnev, accompagné à l'aéroport le président syrien en visite à Moscou, il ne réapparaît que le 21 février 1980 pour prononcer un discours à Moscou. Il semble qu'il ait été victime d'une crise cardiaque et ne puisse désormais plus assumer entièrement les responsabilités de chef du gouvernement.

Son successeur est déjà en place. C'est un des fidèles de Brejnev : Nikolai Tikhonov, 74 ans. Après avoir fait son entrée comme suppléant du bureau politique le jour même (27 novembre 1978) où Cyrille Mazourov, considéré alors comme le dauphin de A. Kossyguine, le quittait pour « raisons de santé ». N. Tikhonov est promu membre à part entière, un an plus tard, lors du plénum du Comité central du Parti, le 27 novembre 1979.

Premier vice-président du Conseil des ministres depuis septembre 1976, il semble assurer plus que le simple intérim de A. Kossyguine. C'est lui, par exemple, qui aurait pris la décision d'accepter la démission, le 21 janvier 1980, de Vladimir Kirilline, vice-président du Conseil et président du Comité d'État pour la science et la technique.

Le clan Brejnev

Ami de longue date du no 2 soviétique, V. Kirilline a pu payer le mauvais état de santé de l'économie, dénoncé par L. Brejnev à la fin de l'année. Mais la date de sa démission coïncide avec l'envoi en exil à Gorki d'Andreï Sakharov (mesure qui aurait été décidée le 8 janvier lors d'un conseil des ministres présidé par N. Tikhonov). Ce qui peut donner à penser que, membre comme le prix Nobel de l'Académie des sciences, Kirilline a voulu, par son départ (qui n'allègue aucune raison de santé), manifester sa désapprobation de la sanction infligée à Sakharov. M. Gvichiani, gendre de A. Kossyguine, était son adjoint, mais c'est Goury Martchouk, mathématicien ukrainien et vice-président de l'Académie des sciences, qui est nommé pour le remplacer à ses deux fonctions.

La promotion de Nicolas Tikhonov renforce encore un peu plus la position de Leonid Brejnev au sein du Parti et du gouvernement, mais, vu l'âge du promu, elle ne peut être qu'une solution de compromis. Cette percée et celle de Mikhaïl Gorbatchev, devenu membre suppléant du bureau politique (secrétaire du Comité central depuis 1978, il est, à 48 ans, le benjamin du Politburo), constituent, outre l'absence de A. Kossyguine, les deux événements marquants du plénum du Comité central réuni le 27 novembre, avant la session d'hiver du Soviet suprême les 28, 29 et 30.

Plus que ces nominations, on retiendra surtout le bilan très critique fait de l'économie. L. Brejnev, comme les autres dirigeants du Kremlin, est plus que jamais préoccupé par les difficultés du pays dans ce domaine et il ne le cache pas.