Mais un homme — un journaliste zurichois — pose à sa manière la question la plus brûlante, celle du monopole de la SSR. Défiant Berne, Roger Schawinsky lance Radio 24. Le studio est en territoire italien, plus précisément à Côme. Une antenne, placée sur le Piz Groppera et dirigée vers la région de Zurich, inonde la métropole de musique, d'informations et de publicité. Les autorités fédérales demandent à Rome de bâillonner Radio 24. Au nom de quoi ? Le juge italien chargé d'instruire l'affaire ne voit nulle raison d'agir précipitamment, et, tandis que Schawinsky persiste, l'idée d'autoriser les postes indépendants à revenus publicitaires commence, jusque dans les milieux officiels, à faire de nombreux adeptes.

Enfin, le comité central de la SSR élit, le 26 mars 1980, le successeur de Stelio Molo, qui va prendre sa retraite. Paradoxe, l'élu compte 64 printemps — ce n'est pas loin de la retraite non plus — et il a été pratiquement imposé par le Conseil fédéral. Mais il s'appelle Leo Schürmann, et, au cours de sa longue carrière politique, ce démocrate-chrétien a toujours démontré, en même temps que son ambition, une remarquable indépendance de caractère. Selon toute probabilité, il ne recevra pas moins sèchement que son prédécesseur les éventuelles remontrances adressées par le gouvernement.

Popularité

Au reste, son patron politique ne sera plus Willy Ritschard, mais Léon Schlumpf. Car le Conseil fédéral a un peu changé. Le chef du Département militaire, le Bernois Rudolf Gnägi, a pris, lui aussi, sa retraite. Son parti, l'Union démocratique du centre, a présenté, faute de pouvoir se décider, deux candidats, le Bernois Werner Martignoni et le Grison Schlumpf. L'Assemblée fédérale a préféré le second, qui jouit déjà, dans l'ensemble du pays, d'une assez rare popularité. D'abord parce qu'il a dirigé avec efficacité le défunt Office fédéral de surveillance des prix. Ensuite parce qu'il est un personnage assez chaleureux, avocat, député au Conseil des États, mais aussi joueur de hockey et d'accordéon.

C'est le 5 décembre 1979 que les Chambres réunies l'ont mis sur le. pavois, et qu'elles ont confirmé dans leurs fonctions les autres membres du collège gouvernemental.

Non sans créer un détestable incident. Les conseillers fédéraux sont, sauf exception rarissime, réélus quand ils le demandent. Ils passent, en revanche, un petit examen de popularité parlementaire : le nombre de suffrages qu'ils recueillent a la valeur d'une note scolaire. Or, les deux Romands, Georges-André Chevallaz (qui sera, dès le 1er janvier 1980, président de la Confédération) et surtout Pierre Aubert, chef du Département des affaires étrangères, font un résultat si médiocre qu'on ne peut pas ne pas y voir, au delà de toutes les explications partisanes et tactiques, une marque de désinvolture de la majorité alémanique. Et, sur le terrain linguistique, il va — ou il devrait aller — sans dire que la moindre fissure peut donner à s'inquiéter sur la solidité de la maison.

Un petit coup de théâtre suit. Le radical Chevallaz quitte les Finances, qu'il abandonne au socialiste Willy Ritschard (à la gauche de gérer le déficit !) pour prendre le Département militaire, tandis que le nouveau venu se voit attribuer celui des transports, des communications et de l'énergie.

Et, après la surprise, une... histoire. Au cours du mois de février, on apprend que le prétendu bras droit du conseiller fédéral Pierre Aubert, le secrétaire d'État Albert Weitnauer, quitte le Département des affaires étrangères en claquant la porte. Une campagne s'amorce dans la presse alémanique contre le magistrat coupable de chasser un vieux et très estimable collaborateur. L'atmosphère devient extrêmement houleuse, mais Pierre Aubert, devant les Chambres, s explique de manière assez convaincante. Le secrétaire d'État n'avait pas, ou n'avait plus, les qualités d'organisateur nécessaires. Il a refusé de changer de poste. On l'a donc laissé partir. Cette fois, les députés comprennent qu'il serait dangereux d'opposer plus longtemps un faux martyr alémanique à un faux persécuteur romand. Ils passent l'éponge.

Abcès jurassien

Chose remarquable, en revanche, le perpétuel abcès jurassien ne débouche jamais sur un malaise entre les Suisses francophones et germanophones, dont les sentiments, ou dont les embarras, se rejoignent. Le 2 septembre 1979, le Rassemblement jurassien demande que le district de Moutier, resté dans le sein du canton de Berne — mais où les électeurs romands, si on les considère isolément, étaient en majorité favorables au Jura séparé —, soit arraché sans délai aux griffes de l'Ours. Coup de gueule, que va suivre une grêle de coups.