La période 1979-1980 marque ainsi la date de la « révision déchirante » en Occident, et plus particulièrement aux États-Unis, en matière de politique énergétique. Il a fallu le deuxième choc pétrolier pour ébranler les habitudes, stimuler les entreprises et réveiller les administrations. Désormais, le tournant est pris. Certes, on n'en verra guère les conséquences avant 1985, car les investissements dans ce domaine demandent de longs délais. D'ici là, bien des crises peuvent se produire. Mais il est désormais acquis qu'avant dix ans le bilan énergétique du monde sera complètement bouleversé.

En attendant, l'Occident doit absorber le deuxième choc pétrolier. La hausse du prix de l'or noir de 130 % entre la fin de 1978 et l'été 1980, est, en réalité, au moins aussi forte que le quadruplement intervenu lors du premier choc en 1973-1974 (Journal de l'année 1973-74). Car ce pourcentage plus faible s'applique à un prix beaucoup plus élevé. En 1973-1974, la hausse du prix du pétrole avait fait passer la facture pétrolière de l'Occident (c'est-à-dire de l'ensemble des pays membres de l'OCDE) de 35 à 100 milliards de dollars par an, soit un supplément de 65 milliards de dollars. En 1979-1980, la même facture est passée de 140 à 290 milliards de dollars, soit un supplément de 150 milliards de dollars. Compte-tenu de l'inflation entre-temps, on peut estimer que les 150 milliards de dollars de 1979-1980 équivalent presque aux 65 milliards de 1973-1974.

Double bang

Un pareil choc produit inévitablement un double bang dans l'économie mondiale : d'abord, il provoque une flambée générale des prix ; ensuite, il entraîne une réduction d'activité et donc un accroissement du chômage. Autrement dit, le choc pétrolier est d'abord inflationniste, puisqu'il pousse les coûts en avant ; puis déflationniste, puisqu'il ampute le pouvoir d'achat des consommateurs de pétrole, à la manière d'un impôt, mais d'un impôt qui n'est pas redistribué à l'intérieur des frontières nationales (alors qu'habituellement l'impôt est redistribué à l'intérieur de ces frontières, ce qui contribue tout de même à alimenter l'activité économique.

Il est intéressant de comparer la diffusion de ce double bang dans l'économie mondiale en 1973-1974 et en 1979-1980, puisque les deux chocs pétroliers ont dominé la décennie 70 que The Economist qualifiait dans son numéro de fin décembre 1979 de « décennie de l'OPEP ». C'est assez différent. Bien que les deux chocs aient été d'intensité comparable, le premier semble avoir fait plus de dégâts que le second, encore qu'on ne connaisse pas encore l'intégralité des conséquences de ce dernier.

Du côté des prix, on était passé d'un taux d'inflation moyen de + 7 % début 1973 à + 15 % début 1974, pour revenir à + 7 % à la mi-1976, dans l'ensemble de l'OCDE. Lors du second choc, on est passé de + 8 % début 1978 à + 13 % début 1980, avec l'espoir de revenir à + 8 % début 1981.

Sélection

Du côté de la production (deuxième bang), on était passé d'un taux annuel de croissance de + 8 % (exceptionnellement élevé, même pour cette période) début 1973 à un taux de – 4 % début 1974, soit une chute extrêmement brutale entraînant une forte vague de chômage et de faillites. Cette fois, entre la fin 1978 et la fin 1980 (prévisions), on devrait passer d'un rythme annuel de croissance de + 3,5 % à – 1 %. L'écart serait donc beaucoup plus faible.

Comment expliquer ces différences ? D'abord, dirait Monsieur de La Palice, parce que le deuxième choc vient après le premier. C'est ainsi que la hausse des prix du pétrole a frappé, en 1978, des économies occidentales dont le taux de croissance était sensiblement ralenti (en raison, notamment, du premier choc) par rapport au rythme fou du début de la décennie. On est donc tombé de moins haut.

En outre, les comportements ont changé. En 1973-1974, les consommateurs avaient réagi vigoureusement, dans la plupart des pays, pour défendre leur pouvoir d'achat. Les salaires avaient été relevés fortement. Ce qui avait amputé les profits des entreprises, contraintes de s'endetter, de sacrifier leurs investissements, de débaucher massivement, voire de déposer leur bilan. Les plus faibles d'entre elles n'ont pas survécu. Par le jeu de la sélection naturelle, ce sont donc des entreprises moins fragiles qui ont subi le deuxième choc. Entre-temps, les opinions publiques ont compris que la crise de l'énergie n'était pas une parenthèse dans une croissance économique rapide. Les temps ont changé. Les gouvernements ont pu faire accepter des politiques plus vigoureuses, tandis que le rapport des forces sociales (à cause du chômage) était devenu moins favorable aux salariés.