Cette procédure sera scrupuleusement respectée. Mais une lutte parfois âpre va très vite opposer, à l'intérieur du Conseil de la révolution, puis au congrès, deux tendances incarnées par deux hommes. Abdelaziz Bouteflika, 46 ans, inamovible ministre des Affaires étrangères depuis 1965, représente les libéraux, bien qu'il affirme être un socialiste convaincu. Les cadres, les hauts fonctionnaires se reconnaissent en lui. Mais on lui reproche parfois son occidentalisme dans les milieux islamisants ou simplement traditionalistes. Son rival, le colonel Mohammed Salah Yahiaoui, 46 ans, a dirigé longtemps l'école militaire de Cherchell, avant d'être chargé de la réorganisation du FLN. Il a la réputation d'être un socialiste dur, d'avoir l'appui de Moscou comme celui de Khadafi, ce qui lui vaut le soutien — moins contradictoire qu'il n'y paraît en Algérie — des musulmans intégristes et des progressistes marxistes, qui se retrouvent sur le thème commun d'une anti-occidentalisation, décidément à la mode dans tous les pays d'Islam depuis la crise iranienne.

Comme il est de règle dans un tel conflit, c'est un troisième homme, le colonel Chadli Bendjedid — dit colonel Chadli, de son nom de guerre —, qui sera finalement désigné, au terme d'un arbitrage rendu par l'armée. Le colonel Chadli, 50 ans, est en Algérie l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé. Mais il n'est pas que cela. Originaire d'une famille paysanne, lieutenant dans l'ALN, capitaine, puis chef de bataillon, c'est un baroudeur qui a connu tous les maquis et toutes les batailles. Son prestige, son passé l'opposent parfois à Boumediene au sein du Conseil de la révolution. Il tient d'une poigne de fer l'Oranie, secteur stratégique important, dont il est le gouverneur militaire. En choisissant le colonel Chadli, les 3 000 délégués du congrès (qui comprennent 600 militaires) s'évitent un choix impossible entre une ligne socialiste qu'on ne peut remettre en cause et les indispensables assouplissements demandés par le peuple. Certes, personne n'oublie que Boumediene a « fondé » l'Algérie moderne et qu'il lui a donné un certain leadership dans le tiers monde. Mais la bureaucratie est lourde, les circuits de distribution fonctionnent mal, la démographie galope et l'habitat ne suit pas. Autant de problèmes d'autant plus difficiles à régler que les deux tendances — Bouteflika, Yahiaoui — subsistent et sont représentées à la fois dans le nouveau Comité central et le nouveau bureau politique. Pour assurer son pouvoir, le nouveau président, dès le départ, écarte à la fois Bouteflika, qui n'est plus ministre et devient son conseiller, et Yahiaoui, nommé coordinateur du FLN.

Après l'élection triomphale, le 7 février 1979, du colonel Chadli, proclamé président par 99,37 % des suffrages exprimés, un nouveau gouvernement est mis en place. Il est dirigé par Mohammed Abdelghani, ex-ministre de l'Intérieur, qui conserve son poste et devient aussi Premier ministre. On note un certain recul des partisans de Bouteflika. Mais il reste au colonel Chadli à assumer l'héritage, tout en affirmant sa personnalité. Il le fera sur deux plans : en libéralisant le régime ; en resserrant les liens avec la France.

Un fabuleux trésor

L'année 1979 aura été une année faste pour les finances algériennes : l'Algérie va enfin récupérer son fameux trésor de guerre, amassé par le FLN pendant la guerre et déposé en 1962 à la Banque commerciale arabe de Genève par le trésorier du FLN d'alors — Mohammed Khidder. Il s'agissait de 40 millions de F suisses, placés sous compte numéroté. Mais, en 1962, Khidder se brouille avec Ben Bella. Au lieu de restituer au gouvernement algérien le Trésor, il décide de le garder et de financer ainsi l'opposition extérieure. Ben Bella, puis Boumediene échoueront à rapatrier le Trésor, la justice helvétique ne reconnaissant comme légitime propriétaire que le déposant lui-même. Le compte reste donc bloqué, même après l'assassinat à Madrid de Mohammed Khidder, en 1967. En 1974 se produit un fait nouveau : on apprend que Khidder s'était porté acquéreur des deux tiers du capital de la banque — qui, du même coup, revient de droit au gouvernement algérien. Il aura donc fallu un procès interminable, une rupture grave entre Alger et Berne, pour qu'on s'aperçoive finalement que la banque — et son trésor — pouvait légalement revenir au gouvernement algérien, d'autant plus aisément que la veuve de Khidder restituait à Alger les dossiers de son mari. Hélas, les 40 millions ont fondu, et la banque ne vaut plus, dit-on, que 2,5 millions. Mais le bon droit est sauf.

Prisonniers libérés

La libéralisation est d'abord politique : on lève les mesures qui assignaient à résidence depuis 1976, Fehrat Abbas et Ben Khedda, tous deux ex-présidents du GPRA. Les autorisations de sortie exigées pour tout citoyen algérien depuis 1967 sont supprimées le 20 avril 1979. Onze condamnés politiques sont graciés, y compris l'ex-commandant Amar Mellah, qui avait par deux fois, en 1967 et en 1968, tenté d'assassiner Boumediene. Des contacts sont pris avec des opposants résidant à l'étranger (en particulier avec le colonel Zbiri, en exil depuis dix ans après une tentative de coup d'État militaire).