Hélas ! La loi de finances pour 1979 a été bâtie sur les perspectives économiques suivantes : un environnement international plus favorable, la poursuite de la croissance en France, un équilibre extérieur maintenu, un investissement qui s'accroît, une décélération d'ensemble des évolutions nominales des prix et des salaires. C'était compter sans le nouveau relèvement du prix du pétrole, supérieur à 50 % par rapport à la fin de 1978 ! Ce choc remet en cause les cinq évolutions favorables qui avaient été retenues.

Au lieu de se poursuivre, la reprise s'est brisée, et la croissance de 1979, au lieu de réaliser les 3,7 % envisagés, aura péniblement atteint 3 %, d'où de moindres recettes fiscales ; à l'inverse, les dépenses de soutien se sont gonflées, dès le printemps pour l'investissement productif (les mesures prises en avril permettaient aux entreprises de déduire de leurs bénéfices 10 % de leurs investissements correspondant à la réévaluation de leur bilan et leur offraient des bonifications d'intérêts et diverses primes, le tout pour 3,5 milliards pour les deux années 1979 et 1980), et à l'automne en faveur du bâtiment et des travaux publics, secteur déprimé en permanence. Sous la double pression montante des dépenses et descendante des recettes, le déficit réel du budget aura presque triplé en 1979, passant des 15 milliards annoncés à quelque 35 à 40 milliards. La « limite » fixée par M. Papon a été largement franchie. Le problème est que, pour que le déficit ne devienne pas un gouffre, le gouvernement doit non seulement diminuer les dépenses, mais aussi augmenter les impôts, et cela est une révolution.

Pression fiscale

De 1969 à 1973, en effet, le taux de croissance, très rapide, de la production avait été constamment supérieur à celui des recettes (et des dépenses) grâce à une série d'allégements fiscaux, dont l'amendement Poudevigne adopté à l'Assemblée nationale, qui organisait le relèvement des tranches du barème de l'impôt sur le revenu en proportion de la hausse des prix. En conséquence de quoi la pression fiscale d'État (c'est-à-dire la part des impôts de l'État dans le produit intérieur brut) est tombée de 18,9 % en 1970 à 16,7 % en 1975.

Après la crise, la pression fiscale d'État s'est stabilisée, parce que le taux de croissance des recettes est resté identique, retrouvant celui d'une production ralentie. Mais les dépenses ont crû beaucoup plus vite, à cause des transferts sociaux, de la relance de 1975, et du poids de la dette publique qui finance le déficit.

La disparité entre l'accélération des dépenses et la stabilisation du taux de croissance des rentrées a, en effet, ouvert un trou qui tend spontanément à se creuser. Même sans la charge cumulative de la dette publique, le retour des dépenses au rythme des rentrées et de la production ne suffirait pas à stabiliser le déficit lui-même, puisque celui-ci tendrait encore à croître parallèlement aux masses en jeu.

Pour éviter ce creusement spontané, le gouvernement met donc en œuvre une politique d'économies qui doit freiner la dépense publique, d'où la lettre adressée, en mars 1979, par R. Barre à ses ministres : « Dans l'ensemble des administrations, la recherche d'une meilleure productivité doit être systématique ; le contexte économique exige impérativement que nos comportements changent... Le niveau actuel des effectifs permet aux administrations d'assurer leurs missions nouvelles... L'opinion publique ne comprendrait pas que le gouvernement ne s'attache pas à la révision du train de vie de l'État. »

Bref, on décrète le maintien du pouvoir d'achat des fonctionnaires et on en recrute de moins en moins. Les équipements collectifs sont, eux, gelés depuis longtemps. Mais le dérapage est ailleurs : sur les interventions sociales et sur le soutien à l'activité. On retrouve ici la contradiction de la politique budgétaire. En réalité, on ne peut aller très loin dans la politique de compression des dépenses. Même en supposant qu'on réussisse à les stabiliser, le déficit des finances publiques ne pourra être résorbé que par une augmentation des recettes. Et c'est là que le bât blesse ! La croissance ralentie impose de renoncer à la modération de la pression fiscale : 1979-1980 sera l'année où l'on reviendra sur les allégements fiscaux consentis dans la période de vaches grasses. Sur un salaire réel, désormais stagnant, va donc s'exercer une pression accrue des impôts et des cotisations sociales (passées de 12,9 % du PIB en 1970 à 16,4 % en 1978). Si l'on ajoute à cela l'austérité dans la dépense, on voit que nous sommes bien entrés dans une ère de vaches maigres...