C'est la peur qui a tué cette fois. Comme avaient tué la folie, l'ennui, la virilité idiote ou le jeu cruel. Les uns ont vu dans ces crimes gratuits les symptômes d'une maladie qui gangrène le corps social et fait d'Orange mécanique une fiction anodine. D'autres, de simples épiphénomènes comme il en a toujours existé, mais aujourd'hui amplifiés par les médias jusqu'à ce que leur rapprochement artificiel permette la généralisation.

Vrais truands et petits délits : la grande peur des honnêtes gens

La sécurité vient en tête des préoccupations des Français pour l'année 1978. Nombreux sont ceux qui ont le sentiment qu'eux-mêmes, leur famille, leurs biens sont menacés en permanence. Cette angoisse est alimentée par une certaine presse et attisée par les partisans de l'autodéfense. Pourtant, la criminalité, après une forte progression de 15 % en 1977, a pour ainsi dire marqué le pas l'année suivante : les statistiques indiquent une diminution de 3 % des crimes et délits.

Guerre des gangs

Le 3 octobre, les Français ont cependant eu l'impression de se retrouver dans un feuilleton policier de la télévision. À la une des journaux s'étale le récit d'un massacre sans précédent : 10 morts en quelques minutes dans un bar de banlieue de Marseille, un bilan qui pulvérise le triste record détenu par Chicago depuis le massacre de la Saint-Valentin qui, en février 1929, avait fait 7 morts dans un garage de la grande cité américaine.

Ce 3 octobre 1978, quinze personnes boivent tranquillement un verre au Bar du téléphone, l'établissement tenu par André et Nicole Léoni dans le quartier du Canet, près de Marseille.

Soudain, les portes de saloon qui barrent l'entrée du Bar du téléphone battent. Quatre hommes viennent d'entrer. Ils ont le visage couvert d'un bas de femme ou d'un passe-montagne. Sans prononcer un mot, ils ouvrent le feu.

C'est le carnage. 50, 100, 200 coups de feu sont tirés.

La salle est jonchée de corps. La police dénombrera neuf cadavres. Un blessé mourra quelques jours plus tard à l'hôpital. Les victimes ont toutes été achevées d'une balle dans la tête. Certaines sont connues des services de police. Toutes sont ou ont été liées au proxénétisme. Mais plusieurs d'entre elles avaient renoncé à la délinquance depuis longtemps. En deux ans, la guerre des gangs avait déjà fait 50 morts sur la Côte d'Azur. Cette fois, des innocents ont été tués.

Autant pour tenter de retrouver les tueurs que pour rassurer la population marseillaise, la police multiplie, plusieurs jours durant, les opérations coups de poing. L'activité des quartiers chauds tombe à zéro. Pour retrouver ses revenus, le milieu décide de coopérer avec la police dans sa chasse aux tueurs.

Les quatre consommateurs qui ont réussi à fuir le Bar du téléphone dès les premiers coups de feu se font discrètement connaître à l'Évêché, le siège de la sûreté de Marseille. Mais ils ne donnent aux enquêteurs que des indications peu exploitables : soit par peur de représailles, soit parce qu'effectivement ils n'ont pas vu grand-chose.

Fausse monnaie

À la fin du mois d'octobre, deux truands, Luperini et Forte, sont exécutés dans une boîte de nuit marseillaise. Ils appartenaient à un réseau de faux-monnayeurs et auraient commis quelques indélicatesses vis-à-vis de leurs fournisseurs et associés. L'enquête montrera qu'une valise pleine de faux billets et convoyée par Luperini avait transité par le Bar du téléphone. Le massacre du 3 octobre est peut-être lié à une affaire de fausse monnaie : depuis plusieurs mois, des billets de 100 F presque parfaitement imités inondent la région. La police pense qu'ils sont fabriqués en Italie et écoulés en France par un réseau de fourmis, reconverties après le démantèlement de la French Connection.

Les policiers découvriront, le 21 décembre, dans un appentis qui jouxte une paisible maison de retraite provençale, une véritable imprimerie clandestine. Ils y saisissent 40 millions de F en fausses coupures CFA.

Pour la seule année 1978, les hommes des brigades spécialisées ont dénombré cinq types de faux billets de 100 F, deux types de faux 500 F et ont saisi plus de 10 000 pièces d'or de fabrication artisanale. Au total, près de 10 millions de F en monnaie de singe. Mais beaucoup de faux billets circulent encore ; le particulier piégé tente le plus souvent de s'en défaire auprès d'un autre gogo : la Banque de France reprend les faux billets pour les détruire, mais ne les rembourse pas.