Faits divers

Neufs crimes sans signification

Tuer le temps. Jouer avec des armes, s'amuser à faire peur. Faire peur avec des armes. Tuer. Tuer pour s'amuser, tuer pour tuer le temps, tuer sans l'avoir voulu, sans mobile, sans raison. Pour rien. Pour tuer.

Neuf fois en quelques mois, cet enchaînement imbécile a fait de gens apparemment normaux des tueurs implacables.

Faire un carton

La première victime de cette sinistre liste s'appelle Simone Bertolosi. Menue, discrète, c'est, à 60 ans, une employée modèle. Depuis 30 ans, elle arrive la première tous les matins dans l'entreprise de Ménilmontant où elle est ouvrière bobineuse. Ce 6 septembre 1978, Simone Bertolosi songe peut-être à sa retraite, qu'elle doit prendre à la fin du mois. Comme chaque matin, elle s'engage dans un passage qui longe le CES, entre la rue de la Bidassoa et la rue Sorbier. Un raccourci qu'elle emprunte régulièrement. Mais, ce jour-là, Simone Bertolosi n'atteint pas le trottoir de la rue Sorbier.

Un coup de feu claque, un seul. La vieille femme s'arrête, immobilisée par le choc de la balle, et se retourne. Derrière elle, deux garçons, dont l'un tient une carabine 22 long rifle, la regardent un bref instant, puis tournent les talons et disparaissent en courant. Simone Bertolosi s'écroule. La balle lui a perforé le foie.

Alertée par la détonation, une jeune femme accourt, prévient la police, le SAMU. Malgré les soins prodigués sur place, Simone Bertolosi meurt quelques instants après avoir raconté ce qu'elle a entr'aperçu. Hypothèse la plus probable retenue par les policiers, qui n'ont jamais retrouvé les meurtriers : « Ils ont tiré comme ça, pour faire un carton... »

Pour s'amuser

À Cherbourg, François Guizzardi n'a sur lui que ses deux poings. Mais il sait s'en servir. Quand, vers 22 heures, passe près de lui ce 2 février 1979 un promeneur solitaire d'allure cossue qui ne répond pas à ses quolibets, il lance aux six copains qui l'accompagnent : « Celui-là, je vais le dérouiller. » Il rattrape le passant, le jette à terre d'une bourrade, le frappe à coups de poing, à coups de pied. Pascal Rozo vient taper, lui aussi, sur cette masse sombre qui gît sur le sol et bientôt ne bouge plus. Puis les deux larrons délestent le promeneur de sa montre et de sa gourmette, qu'ils offrent à leurs camarades restés à quelques mètres en spectateurs. Dans la Bande des stars, on a 19 ou 20 ans, on est marin en rupture de marine ou chômeur, mais on pense aux copains... « Je l'ai séché » dit Guizzardi en rejoignant le groupe.

Ainsi se termine la carrière de Me Jacques Lauvrière, 40 ans, notaire à Saint-Sauveur-le-Vicomte, célibataire, sur ce quai embrumé du port de Cherbourg. Il y a des rencontres à ne pas faire quand on sort du cinéma et qu'on décide de prendre l'air face à l'Océan par une nuit tranquille.

Arrêté sur dénonciation, 48 heures plus tard, Guizzardi n'a pas eu un mot pour sa victime. Apprenant sa mort, il a marmonné : « Alors, ce ne sera pas la correctionnelle, mais les assises... » Peut-être donnera-t-il aux jurés l'explication avancée par trois jeunes de Valence qui ont torturé, mutilé puis étranglé un routard de leur âge rencontré par hasard un soir de janvier : « On a fait ça pour s'amuser... »

Un jeune Parisien a voulu, lui aussi, montrer qu'il ne reculait pas. Chargé rue de Rennes dans le taxi de Sadi Lounis, il se fait conduire avec deux amies aux Champs-Élysées. Durant le trajet, il annonce haut et fort qu'il n'a pas d'argent sur lui. « Dans ces conditions, nous allons directement au commissariat du 8e arrondissement » menace Sadi Lounis. Terrorisées, les deux jeunes filles fouillent leur sac. Elles trouvent assez d'argent pour régler la course. Mais leur compagnon ne veut pas en rester là : au moment de descendre de voiture, il injurie le chauffeur : « Ah ! tu voulais me conduire au commissariat ! Eh bien ! tu vas voir où ça va te mener ! » Et il braque un revolver vers la nuque offerte. Sadi Lounis tente de faire sauter l'arme des mains de son agresseur, qui tire. La balle se loge en pleine poitrine. Le chauffeur de taxi survivra à ses blessures. On n'a jamais retrouvé son agresseur.

Insatisfaction

Des médecins, des avocats paient parfois aussi de leur vie le mécontentement, fondé ou injustifié, de leur client. Deux médecins du Nord en ont fait l'expérience à quelques mois d'intervalle. Patrick Lefevre, un jeune praticien qui venait de s'installer à Lille, a été abattu de deux balles de 22 long rifle par un malade qui s'estimait menacé d'internement. Un de ses confrères de Roubaix, le docteur Gérard Lecocq, a été criblé de trois balles dans le dos et la tête. Son patient jugeait ses soins inefficaces.