Au total, Jean-Paul II sort de ce voyage avec une stature considérablement renforcée. « Jean-Paul II, superstar mondiale » titrent les journaux. Et c'est vrai. En quelques mois, il est devenu l'un des trois ou quatre dirigeants qui comptent sur la planète. Où est le temps, demandent les observateurs, où Staline interrogeait ironiquement : « Le pape ? À propos, combien a-t-il de divisions ? »

L'affaire Lefebvre

L'un des premiers actes de Jean-Paul II a été de recevoir, le 18 novembre 1978, Mgr Marcel Lefebvre, sur la demande de celui-ci. Leur entretien en tête à tête dure exactement huit minutes, après quoi le pape appelle à ses côtés le cardinal Franjo Seper, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Saint-Office). Les milieux proches du supérieur d'Écône laissent entendre à la suite de cette rencontre (dont rien n'a filtré) qu'un « accord » est en vue. Le 2 décembre, Mgr Lefebvre déclare de son côté. « Avec Jean-Paul II tout devient possible. »

Or, la procédure disciplinaire en cours se poursuit. Les 10, 11 et 12 janvier 1979, l'évêque d'Écône est entendu par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il précisera par la suite qu'il a dû répondre à « 17 séries de questions posées pendant deux fois trois heures par cinq interrogateurs accompagnés d'un secrétaire, avec interdiction d'avoir même un simple témoin ». Il ajoute, le 29 janvier, dans une interview à l'Agence télégraphique suisse : « Il n'y aura aucune marche arrière de ma part. Je demande une fois de plus ce que j'ai toujours demandé, à savoir qu'on nous laisse faire l'expérience de la tradition. » Il a donc changé de ton et ne reprend pas ses anciennes condamnations de l'Église conciliaire. Mais, quelques semaines plus tard, la publication par lui du texte de son interrogatoire de janvier provoquera quelque irritation au Vatican. Et à la fin de juin, comme chaque année, il ordonnera de nouveaux prêtres.

France

L'assemblée annuelle des évêques français, à Lourdes, du 25 au 30 octobre 1978, c'est-à-dire une semaine à peine après l'élection de Jean-Paul II, ne retient guère l'attention de l'opinion. Pourtant les évêques y adoptent un document dont ils soulignent l'importance : il s'agit d'un « texte de référence exprimant pour les adultes l'essentiel de la foi ». Il semble qu'ils aient voulu par là réagir contre certaines déviations ou déformations de la théologie et de la catéchèse en rappelant, dans une formulation moderne, les principaux éléments du dogme. À l'occasion de cette assemblée, ils consacrent également — c'est la première fois — une journée de réflexion à l'œcuménisme. Signe des temps : ils invitent à leur donner l'homélie ce jour-là le président de la Fédération protestante de France, le pasteur Jacques Maury. Autre signe des temps : cette invitation, qui voici seulement dix ans eût été longuement commentée, est à peine remarquée.

Enseignement

Lors de la même assemblée, l'épiscopat se préoccupe de l'enseignement religieux. L'instauration de la semaine continue dans les écoles publiques du premier degré, donc la disparition du mercredi, jour réservé au catéchisme depuis 1972 (et qui prenait ainsi la suite du jeudi), pose à l'Église un problème qui amènera les évêques à intervenir à plusieurs reprises auprès des pouvoirs publics. Mgr Roger Etchegaray, président de l'épiscopat, écrit même le 17 décembre que « la liberté religieuse des enfants est en danger ». Il est extrêmement rare, depuis la fin des grandes querelles sur l'enseignement libre, que la hiérarchie catholique soit ainsi amenée à intervenir auprès des responsables de l'État pour ce qu'elle considère comme la défense de ses droits. Les représentants de l'épiscopat reprennent d'ailleurs ce problème lorsqu'ils sont reçus à déjeuner le 29 mars 1979 au palais de l'Élysée. De son côté, le président de la République les interroge sur la déclaration qu'ils préparent à propos de l'avortement.

Depuis plusieurs mois, en effet, la commission familiale de l'épiscopat avait préparé un bilan de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, entrée en vigueur pour cinq ans le 17 janvier 1975. Ce bilan, accompagné d'un ensemble de réflexions, est rendu public le 23 avril. Il est sévère. Bien entendu, les évêques réaffirment leur position traditionnelle : « L'avortement est la suppression d'un être humain, un acte de mort, une faute grave. C'est un mal pour la société. » Et leur appréciation sur l'application de la loi est résumée par ces deux phrases : « Nous sommes les témoins d'une dégradation des mentalités ; un acte grave devient banal et, pour l'opinion, indifférent. Il s'agit bien d'une régression morale à laquelle nous ne pouvons nous résigner. »

Problème des prêtres

Le grand souci de l'épiscopat reste toujours le problème des prêtres. À la rentrée de 1978, 282 candidats au sacerdoce sont entrés dans les séminaires et groupes de formation. C'est un peu plus que les années précédentes (200 en 1977, et 215 en 1976) mais beaucoup moins que dix années plus tôt, et rien ne permet d'affirmer que ce redressement se poursuivra. Ces chiffres sont très insuffisants. Un document de travail publié le 28 mars indique ainsi qu'il y avait en France 34 065 prêtres de moins de soixante-cinq ans en 1965, et seulement 27 131 en 1975. Si la tendance observée depuis 1969 ne se modifiait pas radicalement, ils seraient 18 000 en 1985. Quant aux prêtres qui ont quitté le ministère, et dont la plupart se sont mariés, leur nombre varie, suivant les estimations, de 5 000 à 7 000.