Entre une philippique contre le gouvernement et une mercuriale contre le parti socialiste, Georges Marchais précise aussi : « Il n'y a pas de contestataires au parti communiste français. Il y a des camarades qui discutent. » C'est un changement de ton. Ce n'est pas que les communistes critiques aient pourtant été réduits au silence : la pétition partie d'Aix-en-Provence compte, au contraire, plus de 1 500 signatures à l'époque. Mais Georges Marchais, ayant pris la mesure d'une fronde surtout vivace chez les intellectuels, peut s'offrir, faute de prestige, le luxe d'une certaine tolérance. En revanche, le pacte de non-agression proposé par François Mitterrand le laisse de marbre. Le secrétaire général du PC achève de gagner sa bataille interne. Sur le front extérieur, il ne bouge pas d'un pouce.

Dans le camp d'en face, c'est toujours la discorde. Le discours de rentrée de Jacques Chirac à Tulle a, dès le 3 septembre 1978, une tonalité qui ne trompe pas. Le président du RPR critique vigoureusement la politique économique et sociale du gouvernement et demande une « renégociation » à l'occasion de l'élection de l'Assemblée européenne au suffrage universel direct. Il sait bien que c'est exclu, mais il marque ainsi qu'il n'a pas l'intention d'être conciliant.

Un certain archaïsme politique

Le gouvernement est légèrement remanié à la mi-septembre. Monique Pelletier (UDF-PR) devient ministre délégué à la Condition féminine, ce qui porte à trois le nombre des femmes ministres (record de France absolu). On compte aussi deux nouveaux secrétaires d'État. La signification politique est modeste et ne change rien au climat. Les journées d'études parlementaires UDF, fin septembre, à Ollioules, sont discrètement moroses. Les journées parlementaires RPR, à Biarritz, quelques jours plus tard, sont ouvertement critiques, et Michel Debré notamment s'y interroge à voix haute sur la place des gaullistes au sein de la majorité.

La véritable novation vient d'ailleurs. Et, plus précisément, de Michel Rocard. Le 17 septembre, au Club de la presse d'Europe 1, le député des Yvelines lance une phrase qui devient, sur-le-champ, un événement. Il souligne, en effet, l'utilité de mettre fin à « un certain archaïsme politique ». En l'occurrence, il est surtout question de style, personne n'est nommé. Les mitterrandistes y voient aussitôt une agression caractérisée contre le premier secrétaire. La guerre au sein du PS est déclarée. Elle va mettre aux prises François Mitterrand et ses lieutenants de toujours (Louis Mermaz, Georges Dayan, Charles Hernu, Claude Estier), renforcés par de très combatifs jeunes turcs (Lionel Jospin, Laurent Fabius, Paul Quilès).

En face, Michel Rocard allié à Pierre Mauroy et leurs amis, des hommes comme le journaliste Gilles Martinet, le jeune et brillant député de Savoie Jean-Pierre Cot ou comme Alain Savary, le prédécesseur de François Mitterrand à la tête du PS. Gaston Defferre, lui, tout-puissant député-maire de Marseille, restera fidèle à son ami François Mitterrand, personne n'en doute. Le CERES de Jean-Pierre Chevènement (l'aile gauche du PS, alors dans l'opposition interne) va peu à peu se rapprocher du premier secrétaire.

Sur le fond des choses, on évoque quatre clivages : l'alliance avec le PC, les nationalisations, l'Europe, la démocratie interne. Personne n'ose aller au bout de sa pensée, à voix haute. Chacun se veut fidèle à l'union de la gauche, même sans illusion. Chacun reconnaît qu'il faut élargir le secteur public, même sans y croire. Chacun jure que le PS doit progresser sur le terrain de l'organisation interne, même si ce n'est pas avec les mêmes objectifs. On fait assaut de bons sentiments européens, même si ce n'est pas toujours avec la même conviction. En fait, c'est le règne du non-dit, de l'allusif, de la notation précautionneuse, de la nuance circonspecte.

Faut-il ou non réviser l'alliance avec le PC ? Faut-il ou non revenir sur certaines dispositions du Programme commun ? Faut-il ou non se proclamer social-démocrate ? Beaucoup d'électeurs socialistes se le demandent. Mais les ténors (même au plus fort de leurs joutes) évitent prudemment d'aussi iconoclastes sujets. En revanche, ils s'affrontent sur le terrain dans les fédérations, tendance par tendance, chapelle par chapelle, avec une pugnacité qui tourne parfois à la férocité. L'image du PS va, petit à petit, s'en trouver détériorée.

Le ministère Raymond Barre

11 septembre 1978