Drôle, pourtant, se voulait Le sucre, transposition caricaturale de l'authentique krach de la Bourse de commerce en 1974. Jacques Rouffio menait son récit tambour battant et disposait, pour l'animer, d'un tandem étonnant, Depardieu et Carmet. Succès honorable, sans plus. L'argent des autres, également inspiré d'un fait divers économique réel — le scandale d'une société immobilière d'investissement — a dû être couvert de lauriers — césar, prix Louis-Delluc — pour décoller enfin, malgré la présence de Jean-Louis Trintignant, Michel Serrault et Catherine Deneuve. Les chiens, où Alain Jessua dénonce la psychose de peur qui règne dans les banlieues d'aujourd'hui et l'engrenage meurtrier de l'autodéfense, avaient pourtant mobilisé Depardieu et Victor Lanoux encore : échec commercial.

Quant à l'étonnant Dossier 51 où, cette fois sans vedettes mais avec une écriture neuve et remarquablement efficace, Deville, adaptant un ouvrage de Gilles Perrault, dénonçait la manipulation des individus, on n'en fait même pas mention dans la cote officielle des entrées. Non plus que L'ordre et la sécurité du monde, honorable dénonciation, par Claude d'Anna et avec Bruno Crémer, des conspirations internationales.

Curieuse indifférence d'un public qui, sans doute, aurait couru si ces films étaient venus d'outre-Atlantique. Sans doute aussi n'aime-t-il pas être décontenancé et préfère-t-il les œuvres psychologiques, intimistes et souriantes qui sont la spécialité du cinéma français.

Histoires simples

Ainsi, Annie Girardot, au centre de trois gentils films : La clé sur la porte, transposition par Yves Boisset du roman de Marie Cardinal ; Cause toujours, tu m'intéresses, où Édouard Molinaro lui fait rencontrer Daniel Ceccaldi, solitaire en mal de tendresse comme elle ; et Vas-y maman, de Nicole de Buron. Ainsi encore, Jean Rochefort, Cavaleur de charme dans une jolie variation de Philippe de Broca sur le thème usé du don Juan irresponsable, ou Catherine Deneuve, entraînée par Lelouch dans une bluette sentimentale d'ailleurs plaisante, À nous deux, avec Jacques Dutronc.

C'est en connaissant, sans doute, ce goût du public pour les histoires sentimentales qu'Alexandre Arcady, dans son premier film, a su faire de l'évocation du rapatriement des pieds-noirs après les accords d'Évian — un sujet difficile — la gentille comédie, surtout pas grinçante, qu'est Le coup de sirocco, où Roger Hanin trouve enfin un rôle à sa mesure.

Curieusement, de bons films solides ne parviennent même plus à décoller grâce à la présence de grands interprètes : décevante, la carrière de L'homme en colère, un bon policier classique tourné au Canada par Claude Pinoteau avec un excellent Lino Ventura. Et celle du Témoin, fable grinçante de Jean-Pierre Mocky, avec Alberto Sordi et Philippe Noiret, sur l'injustice de la justice. Ou encore d'Un si joli village, honorable tentative d'Étienne Périer pour dénoncer, avec la complicité truculente de Victor Lanoux et méticuleuse de Jean Carmet, étonnant petit juge obstiné, l'impunité des puissants. Et que dire de la carrière plus que discrète, sur un sujet assez semblable, de Coup de tête, film à la fois drôle et percutant, de Jean-Jacques Arnaud, où Patrick Dewaere est un irrésistible footballeur ?

Patrick Dewaere devient notre vedette numéro un, dans Série noire, étonnante réussite, signée Alain Corneau, de la transposition à l'univers de nos banlieues du vrai film noir américain ; il éclate littéralement. Cannes lui a préféré le vieux routier Jack Lemmon. C'est un peu injuste.

Interprètes féminines

Au féminin, la palme des interprètes est plus difficile à attribuer. Dominique Laffin, peut-être, dont le visage ravagé de larmes et le jeu très brut, très contemporain, habitent l'étrange Femme qui pleure, de Jacques Doillon, photographie sans fioritures de l'éternel trio homme-femme-maîtresse, croquée avec la sensibilité d'aujourd'hui. Crûment ? Plus, en tout cas, que les trois vedettes des Sœurs Bronté, Isabelle Huppert, Isabelle Adjani, Marie-France Pisier, figées à l'excès par André Téchiné, metteur en scène obsédé par la recherche esthétique et qui a, dans cette évocation de la vie des romancières britanniques, gommé toute émotion.