Dans Adieu prairies heureuses, la poétesse anglaise Kathleen Raine, lauréat du prix du meilleur livre étranger, dont on vient de publier également deux recueils, Isis errante et Sur un rivage désert, fait le récit de son enfance en Écosse au début du siècle. Le livre de Kathleen Raine fait état d'une expérience sans doute trop particulière, une éducation placée sous le double signe de la religion méthodiste et des ballades écossaises, pour que les femmes nées immédiatement avant ou après la Seconde Guerre mondiale puissent s'y reconnaître.

Marylin French, à travers une série d'études de femmes américaines de la petite bourgeoisie, s'efforce, au contraire, de mettre en évidence ce qui, dans ces vies banales et sans lustre, est de l'ordre d'un vécu plus universel. Toilettes pour femmes ne vaut pas par ses qualités d'écriture, mais par la façon dont son auteur mêle à la fiction des réflexions sur la forme entière de la condition féminine.

Les qualités du roman-poème Le bois de la nuit placent son auteur, Djuna Barnes, parmi les plus grands écrivains américains de l'entre-deux guerres. Emporté par une énergie narrative et une tension lyrique exceptionnelles, ce livre de la détresse et de l'errance contient d'admirables portraits d'hommes et de femmes, et, par ses péripéties, rappelle les plus grandes œuvres de Joseph Roth : le riche et snob Felix Volkbein, abandonné par sa femme, part sur ses traces, accompagné de son mentor, le docteur Matthieu O'Connor, Irlandais alcoolique doté d'une verbosité savoureuse et d'une fascinante compréhension des êtres. Au fil de leur quête infructueuse, de Berlin à l'Amérique en passant par Paris, les destins se croisent sans jamais s'unir.

Philosophes

Les nouveaux philosophes faisant décidément beaucoup de fausses notes, il s'avère indispensable de faire appel à un interprète chevronné, mieux à même de rendre certaines nuances de la partition Le « Piccolo saxo et compagnie » philosophique accueille, avec quelques décennies de retard il est vrai, Karl Popper. Dans La société ouverte et ses ennemis, Popper lie l'essor de la démocratie d'une société ouverte à la réaffirmation du pouvoir de la raison contre l'idée d'une fatalité historique qui conduirait au totalitarisme. Les ennemis sont, bien entendu, Marx, mais aussi Platon et Hegel.

Théodor Adorno, dans Dialectique négative, voit en revanche dans la « rationalité identificatrice » un principe totalitaire qui se réalise spirituellement dans le système de Hegel, avant de s'accomplir dans le capitalisme monopolistique d'État.

Les ouvrages de Popper et d'Adorno représentent deux moutures différentes d'une même problématique. On peut préférer l'une ou l'autre, rationaliste critique de droite ou irrationaliste de gauche, de ces deux versions qui certes s'opposent, mais pour mieux se compléter.