La maladie du maître du Kremlin est aussi secrète qu'apparente. Très affaibli, il a l'air souvent absent. Ses traits sont congestionnés, il s'exprime avec difficulté, entend mal, a le pas hésitant, le geste emprunté, gauche. Selon des témoignages concordants, lors des rencontres avec les dirigeants occidentaux (il ne faut pas attendre les confidences de ceux de l'Est), il participe de moins en moins aux discussions.

Néanmoins, Leonid Brejnev continue de régner, de rester officiellement le no 1, et son rôle dans l'élaboration de la politique étrangère demeure primordial. On l'a vu dans les grandes affaires qui ont agité le monde ces douze derniers mois. Que ce soit à propos du Proche-Orient, de la Chine, du conflit sino-vietnamien qui menaçait d'embraser la planète ou des rapports avec les États-Unis oscillant sur le baromètre politique du médiocre au bon, Leonid Brejnev est au premier rang de la scène, pesant, massif. Lorsque à Vienne Jimmy Carter et lui signent enfin, le 18 juin, les accords Salt-2 sur la limitation des armements stratégiques, le bénéfice psychologique d'un tel événement revient, côté soviétique, incontestablement à lui seul.

Sa maladie — leucémie, emphysème, trouble de la circulation, artériosclérose cérébrale, etc., ? — l'oblige en mars à reporter d'un mois la visite de Valéry Giscard d'Estaing à Moscou, mais ne l'empêche pas de se rendre en Bulgarie (janvier), en Hongrie (mai) ou en Autriche (juin) et d'accueillir au pied des passerelles d'avion, même par les plus grands froids, les chefs d'État en visite à Moscou. Contrairement aux autres années, il ne prend pas de vacances d'hiver, se limitant à un court séjour à Sotchi, sur la mer Noire, au retour de sa visite à Sofia, et sa dernière disparition prolongée remonte à plus d'un an.

Leader incontesté, il est réélu président du présidium du Soviet suprême le 18 avril par les 1 500 députés du Soviet suprême (Parlement), élus, eux, le 4 mars, avec plus de 99 % des voix.

Mais cette assise n'empêche pas Leonid Brejnev d'assurer néanmoins ses arrières, renforçant à chaque occasion — pour se maintenir peut-être, mais surtout pour préparer sa succession — le clan des brejneviens.

Les fidèles

L'un d'eux, qu'on donnait comme dauphin possible, Fiedor Koulakov, membre du bureau politique et secrétaire du Comité central, meurt le 16 juillet, à l'âge de 60 ans, d'une crise cardiaque. Mais, le 27 novembre, lors du plénum du Comité central, plusieurs fidèles sont, à la faveur d'une série de mutations, promus à la direction du parti.

Au premier rang de ceux-ci, Constantin Tchernienko, qui, de membre suppléant, devient membre à part entière du bureau politique. Malgré ses 67 ans (mais, au pays de la gérontocratie, ce n'est pas forcément un handicap), il apparaît à beaucoup comme un candidat possible à la succession de L. Brejnev, dans l'ombre duquel il a fait toute sa carrière. Entré seulement en 1971 au Comité central et au secrétariat en 1976, il est aujourd'hui, par la grâce de son protecteur, l'un des trois membres du bureau politique à être également membres du secrétariat du parti.

Les deux autres sont Mikhaïl Souslov, directeur de conscience du parti, et Andreï Kirilenko, théorique no 2. Le premier a 77 ans et une santé très fragile. Le second est contemporain de L. Brejnev et, aux yeux des kremlinologues, il semble difficile qu'il devienne autre chose qu'un no 1 de transition qui préparerait la succession.

Andréï Gromyko, 70 ans, l'immuable chef de la diplomatie, Youri Andropov, 64 ans, le patron de la KGB, le maréchal Dimitri Oustinov, ministre de la Défense, décoré héros de l'Union soviétique le 29 octobre à l'occasion de ses 70 ans, et aussi les deux jeunes loups Vladimir Chtcherbitski, 60 ans, premier secrétaire du PC d'Ukraine, et Gregori Romanov, 55 ans, le plus jeune des membres du bureau politique, sont aussi des candidats possibles à la succession. Mais chacun sait que, si la science très incertaine de la kremlinologie permet parfois d'aider à expliquer rétrospectivement l'ascension ou la chute d'un dirigeant, elle n'a jamais permis de les prévoir.