Ce manque de concertation, ajouté à un hiver rude, désorganisant production et approvisionnement, est probablement la cause du remaniement gouvernemental qui intervient en février 1979 après le séjour en Tchécoslovaquie, pour raison de santé, d'E. Gierek. Les trois vice-présidents du Conseil des ministres : Jozef Tejchma, chargé de superviser l'Agriculture et l'Office des cultes, Jozef Kepa, ministre des Transports, Franciszek Kaim, ministre de l'Industrie lourde, sont rétrogrades.

Leur diminution d'influence est directement liée aux problèmes économiques du pays. Dès octobre, Edward Gierek les recense publiquement. Selon lui la récession économique des pays capitalistes et leur politique discriminatoire retentit sur les échanges avec la Pologne. En conséquence, l'austérité, déjà a l'ordre du jour, est maintenue. Les importations doivent porter avant tout sur les matières premières. Trop de malfaçons et de gaspillage imposent une meilleure organisation du travail. Enfin un plus sévère contrôle des prix doit stabiliser le niveau de vie.

La politique déflationniste, commencée en 1977, est renforcée. En 1979, le produit national ne doit croître que de 2,8 %, c'est-à-dire un taux trois fois moindre qu'en 1978 et le plus bas depuis dix ans. L'accroissement de la production industrielle doit rester inférieur à 5 % et les investissements ne pas dépasser 21 % du revenu national, contre 25 % en 1977.

Les programmes sociaux ont la priorité. Un quart des investissements va au logement, un autre quart à l'agriculture et à l'industrie alimentaire.

L'autre volet de ce plan d'assainissement concerne les salaires, dont l'augmentation ne doit pas dépasser 2 %. Cependant, malgré les appels à la compréhension du premier secrétaire du parti, la pression de la base est très forte et les entreprises elles-mêmes majorent les barèmes pour attirer le personnel.

Autre gros problème pour le pays : sa dette extérieure, qui s'élève à 15 milliards de dollars depuis 1960. Malgré tout, Varsovie obtient de quatorze banques occidentales un nouveau crédit de sept ans de 500 millions de dollars.

Si les dirigeants eux-mêmes ne sont pas satisfaits, que dire des dissidents ! Le comité KOR pour l'autodéfense sociale déclare qu'un tiers des capacités de production n'est pas utilisé par défaillance de la planification. Et, si l'agriculture est en crise, c'est parce que les fermes d'État sont privilégiées par rapport aux exploitations individuelles, qui fournissent pourtant la plus grosse part de la production.

Pour la première fois en Pologne, la presse se fait l'écho d'un débat hérétique sur l'éventuelle nécessité d'un volant de chômage. Selon certains, une réserve de travailleurs inciterait les titulaires d'emploi à mieux réaliser les tâches qui leur sont confiées. D'autre part, le fantôme de la récession n'est pas prêt de s'estomper. Selon ses propres experts, la Pologne n'en a plus pour longtemps à être exportatrice de combustibles. D'ici à la fin du siècle, elle devra importer le quart de l'énergie qui lui est nécessaire. Ce qui sous-entend la reconversion d'une partie de l'industrie lourde, grosse consommatrice d'énergie.

Incertitudes

Les difficultés présentes, l'horizon incertain sont un terrain propice à la contestation qui éclôt de toutes parts. Ce sont les intellectuels catholiques qui entament une campagne de « vérité historique » afin de rétablir l'histoire de la Pologne dans son intégrité objective. C'est le comité KOR, créé en 1976 pour aider les travailleurs impliqués dans les émeutes de Radom et d'Ursus (Journal de l'année 1976-77), axé maintenant sur l'autodéfense sociale. C'est le Mouvement pour la défense des droits de l'homme. Ces deux organisations suscitent des manifestations commémoratives à Varsovie et à Gdansk.

Face à cette contestation, l'État joue de la carotte et du bâton. Alors que six vols charters s'organisent pour l'intronisation de Jean-Paul II, trois intellectuels, dont un ami personnel du pape, se voient refuser leur visa de sortie. Cependant, pour la première fois, une tentative de dialogue avec l'opposition s'amorce : une sorte de forum où des contestataires et des gens proches du pouvoir, voire des membres du Comité central, peuvent sérieusement discuter des problèmes économiques et sociaux du pays. Mais, le 18 avril 1979, après un attentat à Nowa Huta contre une statue de Lénine, c'est l'interpellation brutale d'une cinquantaine d'étudiants, ainsi que de quelques animateurs de KOR et du Mouvement des droits de l'homme, dont Jacek Kuron et l'historien Adam Lichnik, qui, le mois précédent, avaient été molestées dans leur appartement.