Politiquement, Margaret Thatcher a la voie libre. Cette femme de 53 ans a la réputation de mener les choses tambour battant. Sa carrière est faite d'énergie et d'obstination. Deux qualités qui lui ont permis de surmonter ses handicaps : une origine modeste, dans un parti où le titre et l'argent priment encore ; son sexe, puisqu'elle est la première femme à diriger un parti, et un gouvernement.

Margaret Hilda Thatcher est née en 1926 à Grantham, petite ville au nord de Londres. Son père y est épicier. Enfant sage et studieuse, elle réussit à l'école. Son mérite lui ouvre les portes d'Oxford. C'est à l'université que naît sa passion politique. Boursière, elle y étudie la chimie, mais se familiarise surtout avec les jeunes élites conservatrices. Elle réussit déjà à présider leur association universitaire. À 24 ans, elle brigue un mandat de député. Elle ne l'obtiendra que neuf ans plus tard, en 1959, après deux échecs. Neuf ans d'attente qui n'entament pas son énergie : elle change de métier, passe du laboratoire au barreau et se spécialise en droit fiscal. Elle se marie avec un riche homme d'affaires. Denis Thatcher, et met au monde des jumeaux, Marc et Carol.

Premières armes

Au Parlement, elle fait ses premières armes avec Harold MacMillan, l'homme du néo-conservatisme d'après guerre, converti à l'État providence et à la décolonisation. Margaret Thatcher emboîte le pas, mais, vers la fin des années soixante, elle se rapproche des irréductibles de droite. Leur attachement à la tradition, leur respect de l'ordre et de l'autorité, leur credo économique, leur foi dans les vertus de la libre entreprise correspondent mieux à ses principes et à son tempérament. Edward Heath, qui, arrivé au pouvoir, entend donner un coup de barre à droite, lui confie, en 1970, son premier portefeuille à part entière : l'Éducation. Elle en gardera un méchant surnom : milk snatcher (voleuse de lait), parce que, à la recherche d'économies, elle a supprimé les distributions de lait gratuites dans les écoles.

Un accroc qui n'arrête pas sa course. À la surprise générale, elle va évincer, en 1975, à la tête du parti conservateur, son ancien patron, Ted Heath, marqué par deux défaites électorales successives. Son élection est accueillie avec plus d'ironie que de fleurs. On y voit un complot de l'extrême droite, un signe avant-coureur de la déliquescence du conservatisme britannique. Margaret Thatcher n'a pas le profil d'un leader. Elle n'a que peu d'expérience gouvernementale. Elle est surtout impopulaire. Son personnage agace. Avec son allure de petite bourgeoise pomponnée, ses façons de maîtresse d'école, ses sermonts moraux, elle déplaît. Du moins, on le croit. Son agressivité paraît peu politique et ses gaffes deviennent célèbres. Les caricaturistes en font une proie facile et la presse la traite avec ironie, ou, au mieux, avec condescendance.

Leader à poigne

Margaret Thatcher n'en a cure. Sa détermination est inattaquable. Les Soviétiques, qui ne s'y trompent pas, la baptiseront la dame de fer. Elle travaille d'arrache-pied, soutenue par un petit groupe de fidèles, théoriciens du néolibéralisme comme sir Keith Joseph ou tacticiens politiques comme Airey Neave, son plus proche collaborateur qui sera assassiné, le 30 mars, un mois avant les élections, par les terroristes irlandais. En quatre ans, elle s'impose. Le vieux parti tory semble finalement soulagé de découvrir un leader à poigne. « Je ne suis pas, dit-elle elle-même, un politicien qui recherche le consensus ou un politicien pragmatique. Je suis un politicien de conviction. » Des convictions qu'elle défend sans peur et sans honte, se proclamant « réactionnaire, parce qu'il y a beaucoup de choses contre lesquelles il faut réagir ».

Sa politique est celle de l'offensive. Elle veut renverser le gouvernement travailliste, dont la majorité est précaire. Mais, en ce début d'été 78, le Premier ministre Jim Callaghan est, toujours, plus fort qu'elle. Lui a acquis la stature d'un homme politique et conquis la confiance d'une large partie de l'opinion, bien au-delà du parti travailliste. Il a jugulé l'inflation, rétabli la livre sterling à un niveau honorable, assuré une certaine paix sociale, fait reculer le chômage, toujours considérable cependant. Au mois d'octobre, il paraît avoir assez d'atouts pour gagner les élections. Il hésite pourtant à dissoudre le Parlement et laisse passer sa chance.

Vague de grèves

L'hiver lui sera fatal, comme si son absence d'audace lui portait malchance. Tout craque. C'est d'abord un fait divers qui frappe ses alliés libéraux : l'affaire Thorpe. L'ancien leader libéral compromis dans une affaire de mœurs devait être acquitté, le 23 mai 1979, lors du procès. Mais la boue soulevée par l'enquête ne pouvait pas ne pas éclabousser et son parti et ses alliés. Puis vient la vague de grèves. Elle va ruiner cinq ans de politique travailliste. Dès l'automne, le conflit des usines Ford (25 septembre-21 novembre) ouvre une brèche sur le front social : les ouvriers obtiennent une augmentation de 16,5 % des salaires, alors que le gouvernement, fort du ralentissement de l'inflation, avait cru pouvoir fixer la barre à 5 % pour l'année 1978-1979. C'est un signal. Les 120 000 chauffeurs de camions réclament 25 % d'augmentation et cessent le travail. Les employés des services publics, des mairies, des hôpitaux, de toutes ces administrations locales si importantes en Grande-Bretagne, débrayent à leur tour.