Assassinat légal, crime prémédité, meurtre judiciaire, vendetta politique : toutes ces formules indignées, lancées par les fidèles et les avocats d'Ali Bhutto après sa pendaison, contiennent leur part de vérité. L'exécution de la plus brillante personnalité pakistanaise fut un peu tout cela. Le légalisme chatouilleux de la procédure, qui a permis aux magistrats de sauver les formes, et certaines hésitations du pouvoir, d'ailleurs vite surmontées, ont fait durer le calvaire d'Ali Bhutto pendant vingt mois. Jusqu'au bout, le pouvoir militaire, niant l'évidence, a considéré qu'il s'agissait d'une vulgaire affaire de « droit commun ».

Ali Bhutto était accusé d'avoir ordonné, en novembre 1974, l'assassinat de l'un de ses plus virulents adversaires politiques, Raza Kasuri ; la voiture de ce dernier fut criblée de balles lors d'une fusillade et le père de Raza Kasuri fut tué (Journal de l'année 1977-78). Emprisonné en septembre 1977, condamné à mort en mars 1978, il protesta jusqu'au bout de son innocence. Le 6 février 1979, la Cour suprême du Pakistan confirme la condamnation à mort de l'ancien Premier ministre. Légalement, Ali Bhutto peut demander sa grâce au général Zia Ul Haq, administrateur de la loi martiale et chef de la junte qui règne à Islamabad. Mais il a fait savoir depuis longtemps déjà qu'il ne « s'abaisserait jamais » à une telle démarche auprès de celui qu'il tient pour un usurpateur.

Après un nouvel appel interjeté auprès de la Cour, celle-ci refuse de réviser son jugement. Toutefois, elle invite implicitement le général Zia à commuer la peine en détention à perpétuité. Celui-ci ayant affirmé à maintes reprises qu'il prendrait en compte les recommandations de la plus haute juridiction du pays, l'espoir renaît parmi les proches d'Ali Bhutto. Mais il fait place bientôt à l'incertitude, puis à l'anxiété. Car, le 3 avril, la femme et la fille de l'ancien Premier ministre sont invitées à lui rendre une « dernière visite ». Le lendemain matin, il est pendu.

Irrégularités

Sur le plan judiciaire, l'affaire Bhutto a été entachée d'irrégularités flagrantes. L'accusation reposait sur les déclarations tardives d'un ancien commandant des forces de sécurité, qui, arrêté le lendemain de la chute d'Ali Bhutto, fut relâché après avoir « spontanément » adressé aux nouvelles autorités un mémoire accusant l'ancien Premier ministre. Le président de la Cour, connu pour son hostilité farouche à l'égard de l'accusé, ne pouvait être considéré comme neutre. Le jugement, acquis à une seule voix de majorité, n'a été rendu que par sept magistrats sur neuf. L'un des juges, réputé pour son indépendance et ayant atteint la limite d'âge, n'avait pas vu son mandat prolongé jusqu'à la fin de l'examen de l'affaire.

En vérité, les autorités militaires ont, tout au long de cette affaire, poursuivi un double objectif : éliminer à jamais une personnalité qui, même du fond de sa cellule, leur portait ombrage ; briser sa formation politique, le Parti populaire pakistanais, qui, a deux reprises, en 1970 et 1977, avait enlevé, avec une nette majorité, les élections législatives. La mise en accusation d'Ali Bhutto s'accompagna d'ailleurs d'une série de mesures répressives purement arbitraires : arrestations de milliers de militants du PPP ; disqualification de parlementaires ; censure imposée aux publications de ce parti ; incarcération de journalistes progressistes ou seulement libéraux.

Rarement condamné à mort aura bénéficié d'un mouvement de sympathie aussi unanime de la part de l'opinion mondiale. Les dirigeants du monde entier — de Tito à Sadate, de Brejnev à Carter, de Kadhafi à Hua Guofeng — sont intervenus, souvent de façon pressante, pour sauver Ali Bhutto. Valéry Giscard d'Estaing a adressé plusieurs messages aux maîtres d'Islamabad. Les États-Unis et l'Arabie Saoudite (bailleurs de fonds du Pakistan) n'ont pas été entendus. Le général Zia, officier cynique et insensible, se contenta de « dénoncer le syndicat des hommes politiques étrangers ». Ali Bhutto n'est-il pas plus dangereux, pour le régime, mort que vivant ? La réponse appartient largement aux dizaines de milliers de Pakistanais anonymes qui, depuis avril 1979, lui rendent hommage sur sa tombe.