Le premier acte de politique étrangère important du nouveau régime, qui a été reconnu rapidement par la plupart des pays du monde, c'est le rompre les relations diplomatiques de facto avec Israël en expulsant les vingt-deux diplomates israéliens encore dans le pays. C'est un cadeau royal fait à Yasser Arafat qui est accueilli triomphalement à Téhéran le 17 février.

Tandis que la reprise du travail ordonnée par l'imam s'amorce aussi bien à Téhéran qu'à Abadan, les premiers signes de divergences apparaissent au sein de la coalition hétéroclite qui a abattu le régime des Pahlavi. Le 20 février, répondant indirectement aux exigences des fedayin marxistes qui réclamaient la constitution d'une armée du peuple et la mise en place d'un régime progressiste, l'imam s'en prend aux forces de gauche, dénonçant ceux qui « ne sont pas des musulmans et sont en guerre contre les croyances philosophiques de l'islam », et affirme « qu'aucune couche sociale ne doit collaborer avec eux ». Il stigmatise en outre ceux qui s'opposent à la révolution islamique « en manifestant des tendances séparatistes », condamnant ainsi les aspirations autonomistes des minorités ethniques.

Les comités islamiques nés de la fièvre révolutionnaire et qui se réclament, à tort ou à raison, de Khomeiny font régner une sorte de terreur intellectuelle afin de s'assurer le monopole du pouvoir. Les mollah conservateurs, qui ont la haute main sur la plupart de ces comités, se substituent en fait aux autorités officielles pour instaurer l'ordre islamique tel qu'ils le conçoivent. Son autorité battue en brèche, le Premier ministre Mehdi Bazargan menace de démissionner vers la fin de février.

L'imam Khomeiny se retire à Qom le 1er mars pour lui laisser les mains libres. Mais la dualité du pouvoir ne prend pas fin pour autant. L'Iran a désormais deux gouvernements. Le plus puissant est sans conteste celui qui siège officieusement à Qom sous la présidence de Khomeiny, qui contrôle directement le Conseil de la révolution, l'organe législatif du pouvoir, inspire les comités islamiques, les gardiens de la révolution qui font fonction de forces de l'ordre et les tribunaux révolutionnaires qui conduisent l'épuration. Les paroles de l'imam font en outre autorité. Ses propos sur le tchador (voile islamique) suscitent le 10 mars la révolte des femmes à Téhéran. Vers la mi-mars, Bazargan remporte une première mais illusoire victoire contre les activistes musulmans des comités islamiques en obtenant de l'imam la suspension sine die de tous les procès et exécutions sommaires commencés au lendemain de la révolution avec l'exécution, le 16 février, du général Nassiri, l'ancien chef de la Savak. Le grand bénéficiaire de cette mesure est Hoveyda dont le procès est ajourné en attendant la publication d'un nouveau règlement judiciaire plus respectueux des droits de la défense.

Exécutions sommaires

Les procès reprennent cependant avec la même procédure expéditive après la proclamation de la république islamique le 2 avril, à l'issue d'un référendum-plébiscite qui a été boycotté par les forces de gauche. L'imam a tranché le débat sur les procès et exécutions sommaires en affirmant : « Ces gens-là auraient dû être tués dès le premier jour au lieu d'être emprisonnés... Je suis désolé que l'occidentalisme sévisse encore parmi nous. » Hoveyda est fusillé le 9 avril. Au début mai, on comptera plus de 238 exécutions.

Les divergences s'accentuent au sein de l'équipe dirigeante. Le 14 avril, l'ayatollah Taleghani, connu pour ses vues progressistes, « se retire de la vie publique » pour protester contre les abus commis par les comités islamiques. Sandjabi quitte le gouvernement pour marquer son désaccord sur les remèdes à apporter à la « paralysie des affaires de l'État ». Les élections à l'Assemblée constituante annoncées pour le mois de juin sont reportées sine die. Fin avril, la lutte pour le pouvoir à Téhéran atteint un nouveau seuil avec la semi-disgrâce des deux principaux hommes de confiance de l'imam : Ibrahim Yazdi, le vice-président du Conseil chargé des Affaires de la révolution, qui abandonne cette fonction importante — le contrôle de la police secrète et la restructuration de l'armée — pour ne conserver que le portefeuille des Affaires étrangères ; et Sadegh Ghotbazadeh, le directeur de la radiotélévision, qui est accusé d'être un « incapable » et surtout d'avoir instauré une censure « indigne de la révolution islamique ».