Dès le départ, ces thèmes n'ont aucune résonance dans l'électorat, qui a déjà donné un sérieux avertissement aux libéraux lors d'élections circonstancielles, le 16 octobre 1978, en favorisant les conservateurs. Alors que les chefs des partis d'opposition s'en tiennent strictement à l'économie, P.-E. Trudeau ne parvient pas à convaincre les électeurs à l'extérieur du Québec qu'il peut être le champion dans des domaines qui touchent plus intimement les Canadiens que la Constitution, soit l'inflation et le chômage. La lassitude des citoyens après les deux dernières années du régime Trudeau consacrées à résoudre la crise constitutionnelle, à inventer des commissions, à proposer une loi sur le référendum national et à convoquer des conférences sur l'unité du pays mène au rejet, le 22 mai, d'un Premier ministre seul, dont le leadership est de plus en plus contesté au Canada anglais.

Premier faux pas

Le lendemain de la prestation de serment du nouveau gouvernement conservateur, le monde entier apprend que le Canada a un nouveau Premier ministre dont les politiques étrangères diffèrent de celles de son prédécesseur. Faisant fi des inquiétudes américaines sur son inexpérience dans la conduite des affaires internationales, Joe Clark amorce une crise diplomatique, le 5 juin 1979, en annonçant l'intention de son gouvernement de déplacer l'ambassade canadienne en Israël, de Tel-Aviv à Jérusalem. En donnant suite à cette promesse faite à la communauté juive canadienne durant la campagne électorale, il contrevient à ce qu'on appelle le bon usage dans les relations internationales. En effet, depuis la création de l'État d'Israël en 1947, aucun pays n'a préjugé du statut de Jérusalem en transférant son ambassade de Tel-Aviv.

Tout en indisposant Washington, cette décision provoque, le 6 juin, une vive réaction de la Ligue arabe, qui qualifie le geste d'Ottawa d'« agression contre la souveraineté du monde arabe », lequel menace de boycotter l'économie canadienne et de rompre les relations diplomatiques.

Le 7 juin, même si Joe Clark croit toujours son geste acceptable parce qu'il considère les négociations israélo-égyptiennes comme terminées, le Canada amorce un recul. Au cours d'une rencontre entre le nouveau secrétaire d'État aux Affaires extérieures du Canada, Flora Mac Donald, et l'ambassadeur du Maroc, porte-parole des pays arabes, on décide de reporter sine die le déménagement de l'ambassade. Le 18 juin, cependant, les Arabes ferment leurs comptes dans les banques canadiennes.

Problèmes du Québec

Le nouveau Premier ministre risque de faire un autre faux pas, cette fois sur la question québécoise. En effet, son refus de reconnaître le droit du Québec à l'autodétermination et de négocier, le cas échéant, la souveraineté-association avec le gouvernement québécois accrédite la thèse du Premier ministre Lévesque selon laquelle « le Canada a remis le 22 mai le pouvoir aux Anglais ».

Si le scrutin fédéral sonne le compte à rebours du référendum québécois, c'est que plusieurs événements au cours de l'année ont déclenché le débat :
– le 12 juin 1978, le gouvernement Trudeau publie un document constitutionnel intitulé Le temps d'agir, dans lequel il réitère la volonté d'Ottawa de procéder unilatéralement au rapatriement de la Constitution. La politique du gouvernement fédéral ne fait nullement mention, cependant, du partage des pouvoirs entre les différents États canadiens. Cette position soulève la désapprobation de l'opposition à la Chambre des communes, du gouvernement québécois et de plusieurs provinces ;
– le 25 janvier 1979, le comité d'étude créé à la fin de l'été 1977 pour sonder l'unité nationale remet son rapport, qui propose une troisième voie fédéraliste, tout en admettant la spécificité québécoise. Reconnaissant au Québec le droit à l'autodétermination, le document du comité propose l'abolition de l'article 133 de la Constitution afin que les droits linguistiques relèvent des provinces ; il reconnaît l'égalité du français et de l'anglais et suggère de remplacer le Sénat par une Chambre de la fédération composée de délégués des provinces. Pour les souverainistes et les fédéralistes québécois, le rapport est l'amorce d'un dialogue fructueux, tandis que plusieurs provinces anglaises considèrent que la création du comité a été une erreur ;
– le 26 janvier, P.-E. Trudeau se dit en désaccord sur le chapitre concernant les droits linguistiques. Selon lui, le comité fait preuve de naïveté ;
– le 29 janvier, les députés libéraux fédéraux dénoncent à leur tour le rapport parce qu'il ne recommande pas que les droits linguistiques des minorités soient inclus dans la Constitution ;
– le 22 février, au moment où le comité référendaire fédéraliste Pro-Canada suspend ses activités sous les pressions du chef du Parti libéral du Québec, Claude Ryan, le Parti québécois publie son manifeste D'égal à égal et raffine son scénario de l'accession du Québec à la souveraineté-association. Fort des sondages qui démontrent que la majorité des Québécois donnerait au gouvernement du Québec le mandat de négocier la souveraineté-association, le congrès national du Parti québécois entérine les 2 et 3 juin 1979 la stratégie référendaire du manifeste D'égal à égal, à la condition qu'en cas d'échec des négociations un autre référendum soit tenu sur l'indépendance, sans lien économique cette fois ;
– le 30 avril, Claude Ryan, le chef du Parti libéral québécois, derrière lequel tous les fédéralistes se rangent en vue de la lutte référendaire, est élu avec une forte majorité dans une élection circonstancielle. Son entrée à l'Assemblée nationale convainc les fédéralistes que les Québécois choisiront le Canada.

Relations tendues

C'est dans une atmosphère de fièvre pré-référendaire que le Premier ministre français, Raymond Barre, entreprend une visite au Canada, le 8 février. Cette tournée canadienne survient trois mois après un incident diplomatique déclenché par le président du Sénégal, Léopold Senghor, qui, au cours d'une visite éclair à Ottawa, le 2 novembre 1978, met en doute la participation du Québec au sommet des pays francophones prévu pour 1980. Enfin, elle suit de deux mois les entretiens Trudeau-Giscard d'Estaing à Paris, le 8 décembre.