Non seulement Cubains et Soviétiques sont déchirés entre leur fidélité aux membres de la junte et leur attachement aux « rebelles » qui se réclament, chacun de leur côté, du socialisme, mais, au sein même du monde socialiste, les pressions se multiplient pour les amener à renoncer à tout engagement en Érythrée. En Italie, par exemple, le journal communiste l'Unita mène vigoureusement campagne en ce sens. Le gouvernement yougoslave, fidèle aux principes du non-alignement, s'inquiète de la présence cubaine dans la Corne, de même que plusieurs gouvernements arabes, comme l'Iraq et la Syrie.

Impasse

Cependant, tandis qu'aucune solution militaire ne semble prête de se dégager, politiquement l'impasse reste totale. Le mouvement nationaliste érythréen a certes réalisé un début d'unification, en avril à Keren, les forces du FLE et du FPLE ayant accepté de faire cause commune, sans pour autant fusionner ; mais le PLF-ELF d'Osman Sabbe Saleh reste obstinément à l'écart. Par ailleurs, l'ensemble des dirigeants nationalistes refuse toujours de transiger sur le principe de l'indépendance totale. Enfin, avant même que le séminaire, convoqué en juin 1978 à Addis-Abeba par la junte, publie ses conclusions, ces dernières sont rejetées à l'avance par tous les nationalistes. Comme l'an dernier déjà, les Érythréens contrôlent la totalité de leur territoire national, à l'exception des quatre principales villes : Asmara, Assab, Berentu et Massava.

Pendant ce temps, les impatiences croissent au sein de la population, dans les rangs de l'opposition et dans ceux de l'armée elle-même. À la fin de septembre 1977, il semble que des éléments de la deuxième division stationnée en Érythrée se soient mutinés. Le 12 novembre, Atnafu Abate, numéro deux de la junte, considéré comme un rival par Mengistu, est exécuté après avoir été accusé de complot avec le Mouvement socialiste panéthiopien (Meison), le Parti révolutionnaire du peuple éthiopien (PRPE) et l'Union démocratique éthiopienne (EDU).

Dès août 1977, une rupture brutale est intervenue entre la junte et une partie des dirigeants civils qui avaient accepté de travailler avec elle. Le règne des milices populaires et celui des comités de quartiers, ou kebelles (on compte 294 kebelles à Addis-Abeba), commence sous le signe de la répression. La menace aux frontières légitime le renforcement de la lutte contre les ennemis de l'intérieur. Au nom de la mise hors d'état de nuire des contre-révolutionnaires, tous les excès deviennent légitimes. Après le meurtre, le 4 novembre, du lieutenant Gebeyan Temesgen, membre de la junte, des représailles aveugles frappent les milieux d'extrême gauche. Le 15 décembre, plus de 300 personnes tombent sous les coups de militaires, résolus à venger l'assassinat de personnalités favorables au gouvernement.

Atrocités

La chasse à l'homme est particulièrement sanglante en avril et en mai. Tandis que quelques commentateurs continuent à présenter la folie meurtrière qui vient de s'emparer des dirigeants de la junte comme un aspect de la lutte des classes (sic), il est de plus en plus évident que les règlements de comptes dont la capitale éthiopienne est le théâtre relèvent à la fois des conflits de personnes et des antagonismes raciaux. Mengistu, Chankela d'origine, donc de race négroïde, multiplie les exactions contre les Amhara, tenus pour responsables du joug colonialiste que l'ancien empereur fit peser sur toutes les populations non amhara. Par ailleurs, celui qui se pose en incarnation vivante de la révolution éthiopienne cherche à confisquer le pouvoir pour lui seul et pour ceux de son clan.

Après avoir compté 30 000 détenus politiques, l'Éthiopie en compterait plus de 100 000 en février 1978. Tandis qu'Amnesty International tente d'attirer l'attention de l'opinion sur le climat répressif qui prévaut à Addis-Abeba, on a de plus en plus tendance à comparer le pays au Cambodge. En effet, les officiers de la junte, généralement issus du rang, paraissent avoir comme souci essentiel la liquidation physique de la totalité des élites éthiopiennes, quelle que soit leur origine. Le 27 mai, tous les dirigeants syndicaux de l'All Ethiopian Trade Unions (AETU) sont purement et simplement destitués par les militaires pour « sabotage économique ».