En fait, l'idée de cet organisme est née en 1967, quand le président américain Johnson proposa à son collègue soviétique, Leonid Brejnev, de créer un centre de réflexion international et apolitique où l'on étudierait les grands problèmes du monde développé (et indépendants des divers régimes politiques), en somme de créer « un pont scientifique entre l'Est et l'Ouest ». Cinq années de négociation aboutirent à la signature, à Londres, en octobre 1972, de la chartre créatrice de l'IIASA.

Dix pays, entre-temps, s'étaient joints aux États-Unis et à l'Union soviétique : quatre de l'Est – République démocratique allemande, Bulgarie, Pologne, Tchécoslovaquie –, et six de l'Ouest – Allemagne fédérale (l'Institut est donc un lieu de rencontre pour les deux Allemagnes), Canada, France Italie, Japon, Royaume-Uni. Ces douze premiers signataires ont été rejoints, en 1974, par la Hongrie et l'Autriche (pays hôte de l'Institut) et, en 1976, par la Finlande, les Pays-Bas et la Suède. Finalement, dix-sept pays participent à l'Institut, avec un léger avantage en nombre pour les Occidentaux, les deux grands restant naturellement les États-Unis et l'Union soviétique, tant par leur contribution financière (environ 40 % du budget total de quelque 6 millions de dollars en 1977) que par leur représentation en personnel scientifique.

International

L'IIASA est somptueusement logé à 15 km au sud de Vienne, dans un château des Habsbourg généreusement rénové et mis à sa disposition par les autorités autrichiennes. À la différence des divers organismes internationaux déjà installés à Vienne, l'IIASA, bien qu'international, n'est pas intergouvernemental. Il a été créé et il est patronné par des institutions scientifiques, comme les Académies des sciences américaine et soviétique, la Royal Society pour le Royaume-Uni, la Max Planck Gesellschaft pour l'Allemagne fédérale, et l'AFDAS, ou Association française pour le développement et l'analyse des systèmes, pour la France. Il a donc la particularité d'être un institut international de droit privé autrichien, et de jouir de privilèges spéciaux accordés par le gouvernement autrichien.

Les chercheurs sont des scientifiques des dix-sept pays membres, plus, à titre individuel, quelques scientifiques de renom international de pays non membres. L'équipe permanente comprend un peu moins de cent chercheurs. Comme la plupart d'entre eux ne passent que quelques années à Laxenburg (l'idée étant que l'Institut doit être aussi un bouillon de culture pour l'étude des problèmes mondiaux), le total des scientifiques travaillant à l'IIASA ou y ayant travaillé régulièrement dépasse maintenant les trois cents, ce qui donne une idée de la vitalité de cet organisme. Parmi les anciens, on peut citer des noms comme Tjalling Koopmans, prix Nobel d'économie, ou Georges Dantzig, un des pères de la programmation linéaire.

Disciplines

Avec l'ambition de créer un organisme international nouveau et efficace, l'autre défi lancé aux premières équipes de l'Institut, sous la direction de Howard Raiffa, de Harvard, un spécialiste mondial de la théorie de la décision, était de donner un sens et un contenu à l'analyse des systèmes appliquée à une échelle internationale.

On décida d'aborder des problèmes globaux ou universels. Un problème global, c'est, par exemple, l'interaction de la production d'énergie avec le climat mondial ; un problème universel, ce peut être l'urbanisation. Mais qu'est-ce que l'analyse des systèmes ? En fait, personne n'est encore tout à fait sûr de ce que cette expression inclut, ni de ce qu'elle exclut. Elle est liée à l'idée moderne d'un outil d'analyse pour l'étude des systèmes complexes que rencontrent nos sociétés évoluées.

Bien que scientifique et s'appuyant souvent sur des mathématiques élaborées (programmation linéaire, théorie des jeux, topologie différentielle, etc.), la systémique n'est pas une discipline établie. Elle relève un peu en même temps de la science et de l'art, par un dosage savant et multidisciplinaire. À l'opposé des autres disciplines, elle ne fait l'objet d'aucun enseignement codifié, et la plupart de ceux qui la pratiquent ont appris leur métier sur le tas, en essayant de répondre aux questions difficiles qui leur étaient posées, souvent par des responsables économiques ou politiques. L'expression « analyse des systèmes » désigne moins des techniques spécifiques que l'application d'un langage commun – surtout mathématique – à la prise en compte et à l'expression des interactions entre divers phénomènes et problèmes, donc un souci d'unification et d'appréhension globale.

Définition

En utilisant comme mise en garde la boutade de Valéry « Ce qui est simple est toujours faux, ce qui ne l'est pas est inutilisable », on peut prendre pour exemple un système ou nappe aquifère, et partir de la définition scientifique de Jacquet – ce n'est pas la seule valable – « système : toute structure, dispositif ou procédé réel ou abstrait qui relie, avec un pas de temps donné, une entrée, une cause, une impulsion (de matière, d'énergie ou d'information) à une sortis, à un effet ou une réponse (de matière, d'énergie ou d'information) ». Un système aquifère, c'est-à-dire un système d'écoulement d'eau souterraine, correspond à un espace continu dans lequel les effets de diverses impulsions naturelles ou artificielles (apports ou prélèvements d'eau, variations de niveau aux limites) peuvent se propager librement et influencer le fonctionnement hydraulique, à un terme défini dans le temps. Malgré l'hétérogénéité fréquente des systèmes hydrogéologiques, on définira donc un système aquifère réel par des limites faisant obstacle à des propagations d'influence à l'extérieur, et à l'intérieur desquelles toute impulsion, locale ou régionale, brève ou durable, peut déterminer une réponse.

Résilience

Il n'est pas toujours facile de déterminer les limites d'un système. Une des premières études de l'IIASA a porté sur le budworm, un parasite des forêts canadiennes. Problème apparemment classique : quand le parasite a trop dévasté la forêt, il commence à disparaître par manque de nourriture ; du coup, la forêt reprend, etc. Mais Holling, qui a dirigé cette étude, lui a donné une autre dimension. Il a inclus dans le système la prise de décision multicritere, les conflits d'objectifs, les compromis possibles, les stratégies en cas d'incertitudes, ce qui l'a amené à développer le concept de résilience (sous une forme mathématique très complexe, non linéaire), ou capacité d'un système à absorber les chocs extérieurs et à leur résister. Ce concept s'est révélé si intéressant qu'il a été repris dans de nombreux autres projets, y compris dans le secteur de l'énergie.

Énergétique

En raison de l'importance qu'il a prise, le système énergétique mondial est actuellement le principal programme de l'IIASA. Il mobilise environ 50 % de ses effectifs. Certes, ce problème est l'objet d'études innombrables. Mais la plupart d'entre elles sont orientées vers le court ou le moyen terme (1985 ou l'an 2000), et pour des objectifs nationaux, voire régionaux, comme pour la Communauté européenne. Le programme d'énergie de l'IIASA s'est attaqué à certains aspects globaux et à long terme (année 2030 et au-delà) du système énergétique mondial. Ses principaux aspects sont à la base de l'étude de la future demande en énergie et des ressources pour y faire face.