Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Le programme commun ne sera pas actualisé et le fossé va se creuser de jour en jour entre les partis de la gauche. Au Comité central du PC, réuni les 5 et 6 octobre, G. Marchais accuse le parti socialiste de virer à droite. Deux jours plus tard, devant le Comité directeur du PS, les 8 et 9 octobre, F. Mitterrand se déclare prêt à reprendre les négociations, à rencontrer Georges Marchais et Robert Fabre. Dès le lendemain 10, le PC refuse. D'affrontements en accusations, de soupçons en querelles, c'est toute la campagne électorale, jusqu'au premier tour, qui sera désormais dominée par les démêlés des dirigeants communistes et socialistes.

Qui a tort, qui a raison ? Chacun est persuadé, ou feint de l'être, que c'est l'interlocuteur qui cherche l'éclat et souhaite la défaite. Il faut reconnaître que, si le PS a fait parfois machine arrière sur des dispositions programmatiques qu'il avait auparavant acceptées ou au moins envisagées, le PC met une singulière obstination, une constance étonnante même, à multiplier les procès et les réquisitoires.

Inlassablement, François Mitterrand et ses amis répètent qu'ils sont disposés à reprendre les conversations, qu'ils souhaitent l'accord, que la gauche ne peut pas, sous peine de se condamner elle-même, aller à la bataille en ordre dispersé. Le 4 janvier, les socialistes acceptent le SMIC à 2 400 F, formulent de nouvelles propositions d'actualisation. Imperturbable, G. Marchais fixe à 21 % des suffrages au moins l'ambition du PC, lance le slogan à double tranchant qui promet : « il y aura des ministres communistes », prend fait et cause du moindre incident. Ainsi quand, le 6 janvier, François Mitterrand et Robert Fabre rencontrent le président Carter en marge de son voyage officiel en France, le PC crie à la trahison. Cette fois, le PS réagit, mais son partenaire reprend l'antienne lorsque la Maison-Blanche, le 13, lance une mise en garde contre les progrès du communisme en Europe de l'Ouest.

La CGT s'est rangée résolument aux côtés du PC, qui fait un énorme effort de propagande pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixés. La CFDT essaie de rapprocher les points de vue, de recoller les morceaux, propose le désistement « franc et automatique » entre les candidats de gauche, tandis que G. Marchais déclare vieillotte la notion de « discipline républicaine ». Chaque déclaration, émission, débat, et chaque initiative aussi fournissent l'occasion d'aigrir et de tendre un peu plus les relations. Le PS présente-t-il par la voix de André Boulloche et Jacques Attali un chiffrage du programme commun actualisé par ses soins ? Aussitôt, le PC discerne des arrière-pensées, dénonce des truquages, conclut à quelque nouveau glissement à droite, à une louche complicité avec la majorité.

7 janvier 1978 : le discours de Blois

Si la date du 23 septembre 1977, avec la rupture intervenue au sein de la gauche, a véritablement marqué un tournant de la campagne, on n'en a guère pris conscience. En effet, les sondages d'opinion continuent de donner une nette avance et même la majorité absolue à la gauche. Il en sera ainsi jusqu'à la veille du scrutin.

La majorité, il est vrai, tient beaucoup moins la vedette que l'opposition. La date clef, pour elle, c'est le 7 janvier 1978 : ce jour-là, Raymond Barre prononce à Blois, devant tout le gouvernement rassemblé, un discours qui définit les « objectifs d'action » pour la prochaine législature. Deux réunions gouvernementales, les 15 novembre et 13 décembre, plusieurs consultations des partis de la majorité, un dernier Conseil des ministres, le jour même, ont arrêté ce plan qui, avec le Manifeste signé en septembre, constitue la charte de la coalition. Le RPR ne l'a approuvé que du bout des lèvres et Jacques Chirac a souligné qu'il ne se jugeait pas lié par ce document.

De rudes discussions se déroulent en coulisse entre les responsables des principaux partis de la majorité pour tenter d'harmoniser quelque peu, à défaut d'avoir pu les unifier, les candidatures du premier tour. Les échos des incidents auxquels donnent lieu ces difficiles ajustements, l'exclusive lancée par Jacques Chirac contre Jean-Jacques Servan-Schreiber qui n'en conclura pas moins un accord avec les giscardiens et centristes, les menaces et les rivalités donnent au public l'impression d'une mésentente profonde, presque aussi grave que les querelles de la gauche.