Dans l'atmosphère dramatique des journées qui suivirent le désastre, ces questions ont soulevé un débat passionné, où s'entremêlent les aspects juridique, technique et scientifique de la lutte contre les marées noires. Quant aux biologistes de la station de Roscoff et de l'Institut d'études marines de Brest, ils se trouvent à pied d'œuvre pour étudier les effets écologiques de cette brutale pollution du milieu marin.

Naufrage

Le jeudi 16 mars, un peu avant midi, l'Amoco Cadiz, pétrolier transportant une cargaison de la Shell et battant pavillon libérien, venant du golfe Persique et se rendant au Havre où il doit se délester avant de rejoindre Rotterdam, a une avarie de gouvernail alors qu'il passe à l'ouest de l'île d'Ouessant. Le commandant Bordieri, un Italien, avise par radio l'armateur américain. Des négociations s'engagent avec le remorqueur allemand Pacific, basé à Brest. Vers 14 h 30, la remorque placée par celui-ci casse, le pétrolier dérive vers la côte. À la station Radio-Conquet, par où transitent les messages, on s'inquiète. Les deux commandants répondent que « tout va bien ».

À 17 h, l'Amoco Cadir s'échoue sur les hauts-fonds rocheux au large de Portsall. À 23 h 15, il lance les fusées rouges de détresse ; l'équipage est évacué par hélicoptère. Le 17, à 7 h, le pétrolier se couche à la hauteur du château arrière ; le pétrole commence à se répandre.

Sous l'action conjuguée du mauvais temps et de la grande marée, le 24, l'épave se casse en deux. L'espoir de pomper une partie du pétrole resté dans les cuves se dissipe rapidement. Le 30, pour en finir d'un coup, on achève l'épave à coups d'explosifs. Les 220 000 tonnes de brut ourlent plus de 100 km de littoral, de la pointe Saint-Mathieu à l'île Bréhat. En mer, la nappe d'huile se déplace au gré des marées et des vents, menaçant tour à tour la rade de Brest, le golfe de Saint-Malo et les îles Anglo-Normandes.

Responsabilités

Des considérations d'intérêt ont retardé de plusieurs heures le moment où les autorités maritimes françaises ont été alertées. Un remorquage se paie très cher (la moitié de la valeur de la cargaison), seulement s'il est réussi. La responsabilité personnelle des commandants de l'Amoco Cadiz et du Pacific est en cause, mais il apparaît que le premier n'a pu qu'exécuter les instructions de l'armateur. Cette dépendance est accrue pour les équipages naviguant sous pavillon de complaisance. Le problème des pavillons de complaisance (qui sont impliqués dans 57 % des naufrages) ne pourrait être résolu que par un accord international, qui ne semble pas en vue.

Par contre, le comité de sécurité de l'Organisation maritime consultative intergouvernementale, réuni à Londres le 20 avril, a adopté à l'unanimité une nouvelle réglementation, proposée par la France, pour la circulation des navires dans la Manche. Les dispositifs des couloirs dans les parages d'Ouessant sont réaménagés. Les pétroliers chargés de brut devront rester à au moins 29 milles des rivages.

Polmar

Le plan Polmar, déclenché dès le lendemain de la catastrophe, s'est révélé à peu près impuissant à en conjurer les effets. Certains estiment qu'il existait davantage sur le papier que dans la réalité, les responsables ayant tardé, en dépit des leçons des naufrages précédents, à mettre en place le matériel nécessaire en cas d'urgence. Onze kilomètres de barrages flottants se sont trouvés disponibles pour protéger – s'ils le pouvaient – une centaine de kilomètres de littoral et les nombreux estuaires. Les experts n'avaient pas tranché la controverse sur le choix des produits à répandre en mer : après avoir commencé à lâcher des détergents, la Marine nationale a reçu l'ordre de suspendre l'opération, jugée plus nuisible qu'utile. La poudrette de caoutchouc, considérée comme le meilleur absorbant, n'existait qu'en quantité très insuffisante.

Selon d'autres commentateurs, le procédé réellement efficace pour attaquer le pétrole à la surface de la mer serait encore à trouver.

Restait à nettoyer les rivages souillés, travail de fourmi auquel se sont livrés les soldats de l'armée de terre et l'infanterie de marine, avec l'aide, parfois anarchique, de jeunes volontaires accourus de partout. Mais que faire des tonnes de sable mêlé de brut retirées des plages ? Les solutions de fortune auxquelles on a recouru ne paraissent pas être exemptes de risques.

Chimie

Les produits proposés pour la lutte contre les marées noires se répartissent en plusieurs catégories :
– Les dispersants, chimiquement voisins des détergents de lessives, réduisent la masse d'hydrocarbure en émulsions plus ou moins fines. La nappe d'huile peut alors se fragmenter, ce qui favorise sa biodégradation.
– Les repousseurs ont un effet contraire : ils forment un barrage chimique et concentrent la nappe, qu'il est alors plus facile de pomper, à condition que la mer ne soit pas trop agitée.
– Les absorbants coulants, comme la craie (dont une certaine quantité a été utilisée contre le pétrole de l'Amoco Cadiz), précipitent les hydrocarbures au fond de la mer... où les biologistes ne savent pas trop ce qu'ils deviennent.
– Les absorbants flottants, sciure de bois (mais elle absorbe plus d'eau que de pétrole), tourbe, poudrette de caoutchouc, récupérés après avoir épongé le pétrole, peuvent servir de combustible.
– Les gélifiants sont encore très chers et peu commercialisés.