Ce n'est là qu'un des événements qui ont ponctué une saison de couplets et de refrains. Le ton dominant de cet art populaire est dans une recherche d'une certaine qualité et d'une originalité dans le mariage du langage d'aujourd'hui avec les rythmes et les découvertes sonores de l'époque. La génération des débutants d'il y a cinq ans s'affirme ainsi nettement devant des gloires aux lauriers qui commencent à se rider.

Le public est néanmoins heureux de retrouver Gilbert Bécaud (L'indifférence), fidèle à l'Olympia de ses débuts, et Barbara, qui annonce tout de go qu'elle n'a rien de neuf dans son répertoire. Et aussi Jacques Douai, ce troubadour amoureux des ballades de toujours et à qui les folkeux d'aujourd'hui doivent tant. Et Charles Dumont, compositeur découvert par Édith Piaf, qui perpétue une forme de chanson sentimentale (Une chanson).

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Et Jacques Brel. Le 17 novembre, à 12 h 55, le top de départ est donné à son nouveau disque : toutes les radios diffusent en même temps les nouvelles chansons du célèbre enfant prodigue. Il s'agit de l'opération la plus habilement orchestrée. Après dix ans de silence, l'auteur des Flamandes et le chantre du Plat pays revient en catimini graver Les remparts de Varsovie, Orly, Knoccke-le-Zoute, Marquises et quelques autres. Le secret, qui a été parfaitement gardé, constitue la meilleure des publicités.

Ainsi, au jour J de la vente publique du 33 tours, assiste-t-on à un véritable rush : dans certains magasins, les clients se servent directement dans les cartons du stock. Rapidement, la firme annonce que les quelques centaines de milliers d'albums sont vendus et qu'il faut procéder à un nouveau pressage. Jacques Brel, alors revenu sur son île du Pacifique, ignore l'impression mitigée que laisse son retour ; certains apprécient sa fidélité au style d'antan, d'autres reprochent au poète de Ne me quitte pas de s'être alourdi et quelque peu falsifié.

Consécrations

Il faut dire que, dès l'automne, il y a de quoi, à Paris comme en province, écouter et « faire le poids ». Dans les lieux les plus divers, et parfois destinés à tout autre chose qu'au spectacle des talents reçoivent d'un public attentif la consécration qu'ils attendent depuis des années. Ainsi, dans la salle de catch de l'Élysée-Montmartre, applaudit-on la poésie moderne d'Yves Simon (Un autre désir), le tendre humour d'Alain Souchon (Jamais content, Allo Mamman bobo, Poulailler's Song), François Béranger, chroniqueur au franc-parler de la vie moderne (Qui est responsable ?), le groupe québécois Beau Dommage (Complainte du phoque en Alaska) et la non moins québécoise Diane Dufresne (Chanson pour Elvis, Maman si tu me voyais) dont le talent éclate au grand jour.

Car l'hiver de la chanson 1977-1978 garde profondément les couleurs de la belle province canadienne. Outre Diane Dufresne, qui revient à l'affiche de l'Olympia au mois d'avril, on peut profiter du passage de Pauline Julien et de son spectacle Femmes de paroles, de la tournée dans 30 villes de province de Gilles Vigneault, qui publie Passer l'hiver, un livre en forme d'entretiens sur ses souvenirs d'enfance, son existence d'artiste et le sens de son travail, de Robert Charlebois et de son dernier disque qui marque un tournant dans son style devenu plus tempéré, presque méditatif, sur sa nouvelle condition d'époux et de père (Rapsodie pour Victor), de Jean-Pierre Ferland (Je reviens chez nous), qui évolue, lui, vers une musique plus rock (Maudits blues), et de Louise Forestier (Dans les prisons de Londres), qui publie ses dernières œuvres sous le signe de L'accroche-cœur.

On peut, c'est vrai, écouter la différence ! Au Théâtre de la Ville, Yves Duteil reçoit l'ovation parisienne en même temps que son premier disque d'or (Tarantelle, Le petit pont de bois, Les petites casquettes), tandis que le Suisse Michel Buhler conquiert par sa simplicité et sa sincérité (Ici, On se retrouvera) ; que le répertoire à tonalité folklorique de Christine Authier (La noce d'Étienne) lui vaut le prix de l'académie Charles-Cros ; que Jean Sommer (Y a un bistrot, Le blues du chien) peut enfin donner la mesure de son talent en dix récitals au Nouveau Carré-Silvia Monfort ; que Philippe Chatel (J't'aime bien Lili) apporte au monde de la chanson toute la jeunesse de la guitare picking.

Festivals

La province n'a rien à envier à Paris. En dehors des lieux qui se créent un peu partout, les festivals rassemblent des dizaines de milliers d'oreilles gourmandes autour des créateurs les plus divers. Au mois de janvier 1978, la ville de Rennes éparpille plus de cent artistes dans tous les coins de la cité : théâtres, cafés-théâtres, chapiteaux, écoles, etc. Du 2 au 6 mars, l'association Masques attire à Besançon les voix les plus significatives du Chant libre, et Bourges voit, du 12 au 16 avril, son 2e Printemps, le triomphe d'Anne Sylvestre (Une sorcière comme les autres), l'éclosion de Djamel Allam, qui chante en berbère un répertoire tout à fait moderne, et du Catalan Lluis Llach (L'estaca).