Pendant ce temps l'Opéra de Paris se tourne avec nostalgie vers son passé. Un hommage rendu à Serge Lifar laisse apparaître le caractère rétro des œuvres de ce créateur de l'entre-deux-guerres. Sollicité pour monter un ballet, Maurice Béjart attaque violemment le Palais Garnier : « Sinistre tombeau, où le ballet n'assume pas sa mission ». « La danse, conclut-il, est un art moderne ; elle n'a pas sa place dans ce musée. » Faute de Béjart, le directeur de l'Opéra, Rolf Liebermann, fait appel au Soviétique Iouri Grigorovitch pour Roméo et Juliette. Inhibé peut-être par le célèbre ouvrage de son aîné, Lavrosky – le triomphe de la grande ballerine Galina Oulanova –, celui-ci ne parvient à produire qu'un médiocre remake, bien inférieur à la version de cape et d'épée de Noureev, dansée presque en même temps par le London Ballet au Palais des Sports.

L'Opéra de Paris doit se cantonner dans les reprises. La Belle au bois dormant et Giselle tiennent l'affiche pendant des mois. Cela permet de faire danser en alternance toute une pléiade de jeunes talents (Dominique Khalfouni, Christine de Vulpian, Florence Clerc, Charles Jude...), et de pimenter la distribution avec quelques invités prestigieux, comme Bessmertsnova ou Barychnikov. Un Barychnikov qui s'affirme comme le plus grand danseur du moment, inégalable dans le répertoire par sa technique impressionnante et sa sensibilité, entièrement à l'aise dans des œuvres aussi modernes que Push comes to shove de Twyla Tharp.

Relève

Ce qui manque le plus, actuellement, à l'Opéra ce sont des chorégraphes. Violette Verdy, enfin nommée directrice de la danse, s'en préoccupe beaucoup et cherche comment susciter des vocations au sein de la troupe. Placée dans la même situation depuis la mort de John Cranko en 1973, Marcia Haydée, danseuse étoile et responsable du Ballet de Stuttgart, a favorisé au maximum les dons créateurs de ses danseurs en organisant des spectacles d'essai publics (les soirées Noverre). Elle a découvert ainsi plusieurs talents prometteurs, en particulier un Français, Pierre Montagnon, dont on a pu voir un ouvrage cet été au Théâtre de la Ville.

Très influencé par Neumeier, Montagnon possède une grande sensibilité et des dons de visionnaire. Le problème de la relève est général. Derrière Balanchine se profile Robbins, déjà âgé. Mais qui pourrait succéder à un Roland Petit ou à un Béjart ? Crise de création ? Certainement pas. Seulement, on assiste aujourd'hui à un éclatement de toutes les formes de spectacles. Peu à peu les grandes compagnies de ballets internationales financées par des mécènes ont disparu. Elles sont remplacées par une prolifération de petits groupes de huit à douze danseurs, dynamiques et inventifs. La récession économique n'explique pas tout. La danse échappe aux codes du ballet classique. Il ne s'agit plus pour le chorégraphe d'assembler des gestes et des pas selon des schémas éprouvés, mais bien de redéfinir l'acte de danser et de le situer dans l'art et la société modernes.

Espace

Le mouvement vient d'Amérique, où, dès les années 1950-60, l'idée s'est acclimatée que l'homme n'était plus le centre de l'univers, mais que l'univers était au centre de l'homme. Appliquées à la danse par Merce Cunningham, ces notions révolutionnaires amènent à une conception abstraite de l'espace – lieu ouvert à toutes les inscriptions gestuelles – : « Dans le ballet classique, dit-il, il y a une scène frontale, un centre et une perspective. Pour moi, tout le monde est le centre ; chaque personne est un centre. Dans la rue, nous voyons plus d'une chose, nous devons changer constamment la direction de notre regard ; c'est pareil pour la danse ; cela crée des situations libres où tout change perpétuellement. » Peu à peu les idées de Cunningham ont longuement cheminé ; au Festival d'automne, un vaste public s'est passionné pour ses Events.

Autre pionnier des formes nouvelles, Alvin Nikolaïs s'implante à Angers où il entraîne de jeunes chorégraphes. Quant à son élève, Carolyn Carlson, elle a été adoptée par Paris. Elle est connue dans la France entière, où son influence est très forte. Ce n'est pas un des moindres paradoxes que de la voir attachée à l'Opéra de Paris, entièrement coupée du corps de ballet, qui l'ignore, assumant avec son petit groupe de recherche les seules créations dont puisse se prévaloir la vénérable maison. Sous des influences conjuguées, de nombreux danseurs ressentent aujourd'hui la modern dance comme une nécessité et se lancent à corps perdu dans une odyssée de l'espace. Le Théâtre du Silence, sans renier sa formation classique, s'est consciencieusement exercé chez Cunningham ; le Ballet-Théâtre Contemporain a connu un succès triomphal avec des ballets de jeunes chorégraphes américains : Louis Falco, Carolyn Brown, Lar Lubovitch et Viola Farber ; le groupe expérimental de Lorraine s'entraîne avec Karin Waehner, disciple de Mary Wigman. Félix Blaska s'est totalement remis en question. Il a dissous sa compagnie, suivi un stage d'initiation aux techniques modernes et formé un nouveau groupe dans un esprit complètement renouvelé. Même Roland Petit s'est lancé dans la course avec Septentrion, un ballet pieds nus sur une musique détonante de Marius Constant. On ne force pas son talent. Roland Petit est plus à l'aise dans de vastes fresques néoclassiques comme Nana ou ce Cyrano de Bergerac qu'il vient de remonter à Marseille.

Imagination

Depuis huit ans, la municipalité de Bagnolet organise un concours de chorégraphie, Le ballet pour demain. Son succès dépasse aujourd'hui les possibilités matérielles de cette ville de banlieue. Un jury de vingt et un spécialistes (dont Violette Verdy), de nombreux organisateurs en quête de talents assistent à un véritable marathon dans une ambiance surchauffée. Parmi une quarantaine de candidats, le concours 1978 a révélé Maguy Marin, formée à Mudra, danseuse chez Béjart et résolument orientée vers la danse théâtrale ; Dominique Boivin, personnage chaplinesque, et Alejandro-Witzman-Anaya, géomètre de l'espace.