Mais c'est que la musique des sons est directement déduite de la musique des mots, et avec une justesse, une sensibilité qui vont jusqu'à rendre parfaitement intelligible l'arabe classique des maqamat d'Al-Hamadhani, poète du Xe siècle.

Aux rencontres de Metz, Mauricio Kagel a présenté une longue suite de pièces inédites où se manifestent plus que jamais le sourd, le lancinant malaise de l'époque, l'angoisse toujours renouvelée du cycle et du cirque des oppressions mutuelles (Dressage), l'absurdité pathétique du théâtre de consommation qui nous est imposé (Présentation), l'inutilité du geste de fonction et la routine du travail (Déménagement) comme l'attirance négative qu'exerce sur nous l'unique refuge des illusions (Variétés).

Jamais Kagel n'était allé aussi loin dans la dérision triste, dans la dénonciation du quotidien, avec cette application de professeur, cette précision de géomètre-horloger qui donnent à sa démonstration tout son poids, toute sa force extraordinaire.

À l'Opéra de Stockholm, le Grand Macabre, de György Ligeti, d'après Michel de Ghelderode, réussit une double transmutation, celle du carcan de la convention en cadre formel idéal pour toutes les audaces de musique pure, et celle de l'inouï absolu en image sonore théâtralement expressive et pourtant toujours abstraite.

Mais le compositeur a beau lancer ses flèches avec une précision kagelienne, la micro-polyphonie qu'il déploie, la moirure de ses timbres orchestraux, ses jeux d'espace et même ses citations insolentes, tout procède ici de la volute, de la courbe et de la contrecourbe baroques, comme dans les églises et les châteaux de sa Hongrie natale.

On peut entrevoir d'étranges rictus, d'effrayantes grimaces dans ces guirlandes de sons emboîtés à la Arcimboldo. Ligeti ne dit pas nettement que notre monde est absurde, que plus rien ni personne n'est digne de foi, que la mort est toujours une sinistre comédie et que toute notre agitation ne détourne pas les comètes de leur droit chemin, mais on lit tout ça dans le grand livre ouvert de sa musique, qui semble arriver d'une région de l'univers où la vibration est plus serrée, plus essentielle, et d'un éclat chimique inconnu sur la terre.

Xenakis

Enfin, on aura encore beaucoup parlé de Xenakis cette année. Le 21 décembre 1977, l'Orchestre national de France a donné Nomos Gamma, la création française de Cendrées et la création mondiale de Jonchaies, en conclusion d'un immense cycle de 12 concerts de ses œuvres, assuré par le Nouvel Orchestre philharmonique, l'Orchestre de Paris, l'Ensemble intercontemporain, l'Orchestre du conservatoire, les Concerts Colonne, le Groupe vocal de France, l'Ensemble 2e2m, le Groupe de recherches musicales et quatorze des meilleurs solistes internationaux.

Ailleurs qu'à Paris, mais dans le même temps, l'Orchestre de l'Île-de-France, l'Orchestre Provence-Côte-d'Azur et l'Orchestre régional de Mulhouse ont inscrit à leurs programmes réguliers quelques pièces de référence. En tout, c'est donc 36 œuvres qui ont été jouées et rejouées en trois semaines, soit plus de la moitié du catalogue actuel de Xenakis.

Bonne occasion de vérifier que sa recherche a beau s'engager dans des voies toujours plus aventureuses et s'exprimer par les moyens les plus divers, on dirait finalement que le langage profond de Yannis Xenakis n'a presque pas changé en vingt-deux ans.

De Metastasis à Jonchaies, c'est la même libération des forces primitives du son, le même désordre suprêmement ordonné, les mêmes mouvements de masses en évolution, le même scintillement complexe mais évident, la même rugosité, la même violence d'une nature plus naturelle d'être réinventée dans son essence par le calcul conjugué à l'instinct.

On retrouvera toutes ces caractéristiques dans le Diatope, geste de lumière et de son, conçu par Xenakis pour le parvis du Centre Pompidou, où il est inauguré le 19 juin 1978. Depuis le Polytope de Cluny (1972), les composantes du spectacle se sont multipliées et enrichies. La machine s'est développée et perfectionnée.