Ce test prouve à quel point l'affaire Moro a entraîné, au profit de la DC, un courant d'émotion et de sympathie. Le résultat de cette consultation n'entraîne pas de bouleversement. Les démocrates-chrétiens, forts de leurs succès, se refusent publiquement à rêver d'une nouvelle majorité, sans les communistes mais avec les socialistes. Il y a dans cet attentisme deux raisons : les menaces terroristes et les difficultés économiques.

Pour faire face à ces deux dangers, il n'est plus question de se laisser aller aux délices de la combinazione. L'unité est plus que jamais nécessaire : pour les Brigades rouges, l'échec politique, au moins dans un premier temps, est total.

Virage

La svolta, le « virage », c'est le maître mot de l'année économique 1977-78. Les syndicats italiens, forts de leur puissance (9 millions de salariés sont syndiqués, soit près de 1 sur 2), proposent à la fin de janvier 1978 un nouveau plan et de nouveaux objectifs.

C'est Luciano Lama, secrétaire général de la CGIL (première centrale syndicale avec plus de 4 millions d'adhérents), qui annonce cette évolution — certains préfèrent parler de révolution.

Dans un entretien accordé au journal La Republica, Luciano Lama indique que les revendications des ouvriers qui ont un emploi doivent passer au second plan. « Il faut revenir sur certains avantages acquis. Le fait d'avoir 1 600 000 chômeurs est tragique. Tous les autres objectifs doivent lui être sacrifiés. »

Depuis cette interview, les chiffres du chômage ont encore augmenté. Ce fléau touche à présent plus de 8 % des Italiens en âge de travailler. Les 3/4 d'entre eux ont moins de 30 ans. Face à cette situation, tous les syndicats adoptent cette nouvelle politique. Deux semaines après les déclarations de Luciano Lama, le 14 février 1978, 1 500 délégués syndicaux se réunissent à Rome pour officialiser cette stratégie. Un congrès qui fait suite à 10 000 assemblées tenues dans les usines, autant d'occasions pour discuter du document proposé par le comité unitaire des trois syndicats.

Les trois syndicats se retrouvent ainsi dans une sorte d'alliance objective. La CGIL donc, mais aussi la CISL, proche de la démocratie chrétienne (2 800 000 adhérents), et l'UIL, plus proche des sociaux-démocrates et des socialistes (1 100 000 adhérents).

Le programme des trois confédérations — unies par un pacte fédératif depuis 1972 — est adopté à une écrasante majorité (1 342 « oui », seulement 12 « non »). Il fixe deux orientations : améliorer la mobilité de l'emploi et modérer la progression des salaires pendant 3 ans. « Una svolta, un tournant qui engage tout le monde » conclut Luciano Lama. L'avertissement s'adresse, entre autres, aux métallurgistes. Leur fédération, la FLM, a critiqué publiquement la ligne imposée par la direction des syndicats. Souvent la base comprend mal et accepte difficilement l'idée des sacrifices, ou l'austérité, point fondamental dans la stratégie du PCI. Les promesses des responsables syndicaux et des responsables politiques (« il ne s'agit pas d'un pacte social, nous continuons à combattre tous les modèles du capitalisme ») n'ont pas toujours rassuré une partie des salariés.

Un secteur compétitif

On les appelle les Bresciani. Ce petit groupe de sidérurgistes de la région de Brescia, dans le nord de l'Italie, continue, malgré les barrières communautaires mises en place au début de 1978, à défier l'Europe. En jouant à fond une politique de bas prix, les Bresciani ont su rester très compétitifs. « Ils ont même accepté de perdre de l'argent » leur reprochent certains de leurs concurrents. En fait, les Bresciani utilisent comme matière première les ferrailles, dont les cours sont restés jusqu'ici assez bas. Ils ont d'autre part voulu rester modestes : leurs usines sont de petite taille. Enfin, ils ont concentré leurs efforts sur quelques produits très recherchés. Face à la lourdeur des grands sidérurgistes européens, leur technique et leur souplesse restent d'excellents atouts. Au milieu d'une économie morose, c'est un secteur qui continue à donner l'exemple. Pendant la période 1977-1978, la machine a encore tourné au ralenti. Le PNB n'augmente que de 1,7 % en 1977 (contre 5,6 % en 1976) et les investissements ont baissé dans tous les secteurs. Toujours en 1977, les prix ont augmenté de 18,3 %, c'est-à-dire plus qu'au cours des deux précédentes années. Avec 1 700 000 chômeurs au début du printemps 1978, la situation reste très délicate pour l'Italie. Seul motif de satisfaction : les exportations ont nettement progressé (+ 5,8 % en 1977). Pour la première fois depuis longtemps, la balance des paiements, avec 2 178 milliards de lires d'excédent, est redevenue positive.

Autonomes

Pour une partie d'entre eux, la tentation est donc forte de rejoindre les syndicats autonomes qui, en marge des grandes centrales, proposent une action plus directe et plus concrète. Le ministère du Travail estime que 200 de ces organisations regroupent 400 000 inscrits. Les autonomes prétendent, eux, représenter au moins deux fois plus de personnes. C'est dans les ministères, les banques, les hôpitaux, l'enseignement qu'ils sont le mieux implantés. En revanche, leur influence est limitée dans l'agriculture, le commerce ou l'industrie.