Un second événement va ajouter au trouble des Italiens : l'enterrement quasi clandestin d'Aldo Moro. La famille prend de vitesse le gouvernement et refuse les funérailles nationales. Dès le lendemain de la découverte du corps, elle inhume Aldo Moro à Turita Tiberina, un petit village à 60 kilomètres de Rome où elle possède une maison de campagne. Seuls les proches et les habitants de la commune assistent aux obsèques. Les volontés exprimées par le président de la démocratie chrétienne dans une de ses lettres sont respectées.

L'État italien souhaite malgré tout rendre un hommage national à Aldo Moro. Le samedi 13 mai, dans la basilique Saint-Jean, tous les représentants de l'État, mais aussi le pape et cent délégations étrangères suivent une messe de requiem. Quelques milliers de personnes attendent dehors avant d'aller défiler en ville.

Deux générations de Brigades rouges

Les Brigades rouges — les BR, comme on les surnomme désormais en Italie — se sont manifestées pour la première fois en 1970, par un tract envoyé à des journaux de Milan. C'est dans le nord de l'Italie qu'elles sont nées et ont le plus souvent opéré. Depuis leur création, elles ont revendiqué près de 1 000 actions criminelles. Leur berceau : la faculté de sociologie de Trente. Leur chef : Renato Curcio, étudiant d'origine catholique qui cherche sa voie après avoir fréquenté les milieux néo-fascistes marxistes et socialistes. En 1969, il part pour Milan, où il fonde les BR, qui doivent constituer, selon lui, une « avant-garde prolétarienne armée ». Un deuxième courant participe à cette naissance, animé par Alberto Franceschini. Il représente un groupe plus ancré dans le monde ouvrier, mais tout aussi déçu par les partis traditionnels. Pendant les premiers mois qui suivent leur création, les BR s'attaquent surtout aux usines par des plastiquages. Un degré est franchi en 1972 avec les premiers enlèvements. Ce sont surtout des ingénieurs, des contremaîtres qui sont alors visés. En 1974, cette action devient plus politique avec le rapt d'un juge de Gênes, Mario Sossi. Les BR vont le séquestrer et le juger pendant 35 jours avant de le libérer Bientôt, la police réussit à noyauter les BR. Curcio et Franceschini sont arrêtés à Milan à la fin de 1974, mais, début 1975, l'épouse de Curcio, Mara, attaque la prison où il est détenu et le libère. Renato Curcio sera repris près d'un an plus tard, en janvier 1976. Avec ses 14 lieutenants, il est jugé depuis le 9 mars 1978 à Turin. Deux fois, l'ouverture du procès a dû être remise, faute de jurés. Cent treize personnes se sont ainsi récusées par peur de représailles. Pendant un an, ceux qui ont accepté de siéger aux côtés du président du tribunal bénéficieront d'une protection spéciale. Malgré tous ces obstacles, le procès se conclut, et, le 23 juin, le tribunal rend son verdict : 29 condamnations (dont 15 ans de prison à Renato Curcio) et 16 acquittements.

Quel est le lien exact entre les chefs historiques des BR et ceux qui ont enlevé Aldo Moro ? Pendant l'affaire, dans leurs derniers communiqués, les BR ont exigé la libération de Renato Curcio. Il est impossible de savoir dans quelle mesure les inculpés de Turin ont décidé, voire organisé cette opération. En tout cas, la seconde génération des BR apparaît beaucoup plus dure, plus déterminée également. Elle a réussi à s'autofinancer grâce à des hold-up et des enlèvements qui lui ont rapporté plusieurs milliards de lires. De quoi payer des tueurs et acheter, éventuellement, des complicités. Les nouvelles BR annoncent qu'elles veulent frapper l'État au cœur, en visant à tous les niveaux cette Italie qu'elles décrivent comme un maillon faible du capitalisme international : ainsi les attentats commis dans la nuit du 21 au 22 juin à Rome et Turin et l'assassinat, le 21 juin, d'un commissaire de police à Gênes. Une vingtaine de militants composeraient le noyau fort des BR. Ils bénéficieraient du soutien de 500 à 600 sympathisants formant un vaste réseau ayant pénétré jusqu'au ministère de l'Intérieur. À moins, comme d'autres le croient, que les BR ne soient armées et manipulées par un service secret (on a parlé de la Tchécoslovaquie). Aucun fait précis n'est venu jusqu'ici démontrer la solidité de l'une ou l'autre de ces thèses.

Score

Le lendemain, à l'occasion d'élections partielles (le renouvellement de 816 conseils municipaux), 4 millions d'Italiens sont appelés à voter. La démocratie chrétienne, avec 42,5 % des voix, réalise son meilleur score depuis longtemps. Le parti communiste, lui, recule. Il obtient 26,5 % des suffrages. Par rapport aux législatives de 1976, il perd 9 points. Les socialistes, eux, résistent assez bien avec 13,3 % des suffrages.