De son côté, la gauche accuse le gouvernement de ne pas respecter les règles du pacte de la Moncloa. Elle est poussée, il est vrai, par les syndicats qui se sont toujours opposés à un tel accord, tandis que les grèves se multiplient à travers le pays (fin mai, 15 000 entreprises sont occupées) et que le chômage touche 1 038 700 personnes, soit près de 10 % de la population active.

Toutefois, les entrées de capitaux étrangers, principalement grâce à une saison touristique exceptionnelle (4 milliards de dollars), et un prêt de 300 millions de dollars consenti par le FMI permettent de parer au plus pressé et même d'améliorer les réserves en devises qui excèdent de 1 milliard de dollars le stock de l'année précédente.

Il est, d'autre part, manifeste que le gouvernement a échoué sur de nombreux points, notamment celui de la violence. Outre l'ETA, enfermée dans son absurde logique meurtrière, de trop nombreux meurtres ont été perpétrés : des policiers, des hommes politiques, tel l'ancien maire de Barcelone sauvagement assassiné le 25 janvier 1978 en compagnie de sa femme, de hauts fonctionnaires, comme Jesus Haddad, directeur de l'administration pénitentiaire, abattu le 22 mars en pleine rue, à Madrid.

Le gouvernement semble avoir des difficultés à se concilier pleinement les anciens piliers du régime franquiste. Certes, le vacarme des nostalgiques de la Phalange a plus d'ampleur que leur masse. Et leur hostilité déclarée et bavarde (ils crient « À bas le roi ! » dans les manifestations) leur enlève beaucoup de leur efficacité.

Réserve

Il est des attitudes qui pour être plus réservées n'en sont pas moins alarmantes. Ainsi l'armée. Au début du mois d'octobre, des officiers supérieurs tiennent de mystérieux conciliabules à Tolède et à Jativa, dans les environs de Valence ; à l'ordre du jour : le « désordre », le « dépeçage » autonomiste des provinces, le « marasme » de l'actuel régime opposés à l'ordre, l'unité et la prospérite de l'ère franquiste. Cette agitation est suivie par un rappel à l'ordre du ministre de la Défense, le général Guttierez Mellado, enjoignant aux forces armées de « s'identifier à la société qu'elles servent, sans nourrir d'ambitions dans le domaine politique partisan ».

Quelques jours plus tard, le roi, en voyage aux Canaries, s'adresse aux légionnaires, leur demandant de demeurer de « bons soldats » et de rester calmes pendant la période difficile de transition vers la démocratie. Jusqu'où peut aller cette grogne discrète ? Le 17 mai, le chef d'état-major de l'armée de terre, le lieutenant général Vega Rodriguez, donne sa démission pour « raisons personnelles », raisons qui sont restées assez mystérieuses pour inquiéter.

Ce sourd ressentiment rejoint la méfiante réserve de l'Église catholique. On peut apprécier la susceptibilité de cet autre pilier du régime défunt (religion d'État pendant 40 ans), lorsqu'il apprend que la commission parlementaire chargée de rédiger la nouvelle Constitution s'est prononcée en faveur d'un État non-confessionnel, pour la liberté religieuse et la laïcité de l'enseignement. L'épiscopat s'émeut publiquement, craignant une évolution de « l'étatisme non-confessionnel vers l'étatisme anti-confessionnel ou belligérant » et proteste qu'« un État laïc ne pourrait donner une réponse suffisante à la réalité religieuse espagnole ».

À quoi le secrétaire général du PSOE, Felipe Gonzalez, répond brutalement : « Nous, socialistes, ne demandons pas à participer au synode des évêques. Que ceux-ci ne viennent pas se mêler de la Constitution. » Résultat : le 7 décembre, des dizaines de milliers de personnes, appartenant à la « Fédération catholique des parents d'élèves », envahissent le Palais des sports de Madrid exigeant la liberté de l'enseignement.

Le représentant du PSOE à la commission constitutionnelle, Peces-Barba, démissionne en prétendant qu'il ne veut pas participer plus longtemps à la rédaction de la Constitution « la plus réactionnaire du monde ». Opinion fort exagérée, susurrent les communistes. Le texte approuvé par les Cortes, le 4 avril, se contente, en effet, d'indiquer que l'État coopère « avec l'Église catholique et les autres confessions ».

Grandes manœuvres

La revendication foisonnante et passionnée des libertés individuelles ne se limite pas au régionalisme ; elle touche à l'art, à la sexualité, à la culture. Gouvernement, partis, responsables s'efforcent d'y répondre par des solutions originales. L'émulation entre parti communiste et parti socialiste ouvrier est caractéristique de cet engouement, qui s'accompagne d'une lutte sournoise pour le leadership de la gauche.