Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Par rapport aux pays voisins, les chiffres font apparaître qu'en France le salaire moyen de l'ouvrier est inférieur à celui de l'employé, ce qui n'est pas le cas, par exemple, en RFA. Les négociations devaient porter aussi sur les conditions de travail, la durée du travail, l'indemnisation du chômage.

Dans l'esprit du gouvernement, il s'agit d'une opération à la fois politique et sociale. Politiquement, V. Giscard d'Estaing doit tenir compte du fait que l'écart des sièges à l'Assemblée nationale entre la majorité et l'opposition n'est pas représentatif de l'écart des voix dans le pays. Faute de pouvoir faire une ouverture au parti socialiste (impossible jusqu'aux présidentielles de 1981), le chef de l'État en fait une du côté des syndicats de l'opposition, et singulièrement du côté de la CFDT ; laquelle souhaite elle-même sortir d'une attitude d'opposition purement politique, pour ne pas perdre sa vocation syndicale qui est d'améliorer, jour après jour, le sort des salariés.

Chômage

Sur le plan social, il s'agit d'introduire en France des pratiques courantes à l'étranger en matière de négociations sociales. R. Barre voudrait réaliser dans le secteur privé une opération du type de celle que J. Chaban-Delmas avait réussie en 1969-1970, avec sa politique contractuelle, dans le secteur public. Mais, à l'époque, la France vivait encore sous le coup de la grande peur de mai 68. Une fois les élections du printemps 1978 passées, une partie du patronat s'est demandé pourquoi il faudrait faire des concessions aux syndicats, puisque la gauche avait non seulement perdu, mais avait éclaté. Telle n'est pas, il est vrai, l'analyse des dirigeants du patronat, conscients que la majorité au pouvoir depuis vingt ans ne pourrait pas y rester encore longtemps sans risque d'explosion sociale, si les relations entre classes sociales devaient rester ce qu'elles sont.

D'autant plus que le chômage persistant crée un malaise dans l'opinion et rend disponible une partie de la population — surtout chez les jeunes — pour toutes sortes d'aventures. Grâce au Pacte national pour l'emploi des jeunes mis en œuvre durant l'été 1977 (exonération de charges sociales pour l'emploi des jeunes, organisation de stages dans les entreprises, développement de la formation professionnelle), la rentrée de l'automne 1977 avait pu être absorbée sans aggravation du chômage. Le nombre des demandeurs d'emploi avait été ramené de 1 174 000 en août 1977 (chiffre le plus élevé) à 1 023 000 fin janvier 1978. Mais, dès le mois de février, le chômage repartait de l'avant. Les mesures prises en 1977 en faveur de l'emploi des jeunes arrivaient à échéance ; elles ont été, partiellement, renouvelées au printemps 1978. Mais, d'une année sur l'autre, le chômage était encore en augmentation de 7 %.

Emploi

Tous les gouvernements occidentaux se battent avec ce problème. Partout les taux de chômage se situent autour de 5 à 6 % de la population en âge de travailler. Certes, les conditions de recherche d'un emploi ont changé. Les femmes veulent travailler pour gagner non seulement de l'argent, mais aussi de l'autonomie au sein du groupe familial. Les jeunes — qui ont suivi des études plus longues — ne veulent plus accepter n'importe quel emploi. L'élévation du niveau de vie permet, en outre, à une famille où il y a, habituellement, plusieurs salaires de vivre temporairement avec un seul. L'amélioration de l'indemnisation du chômage (encore qu'il n'y ait, en France, que 10 % des chômeurs indemnisés à 90 %) peut, dans certains cas, contribuer au développement de celui-ci.

Il est vraisemblable que la notion de plein emploi n'a plus, aujourd'hui, le même contenu qu'autrefois. Le nombre de personnes en transit entre l'école et l'entreprise ou entre deux entreprises s'élève simplement parce que le temps de transit s'allonge. Cela peut représenter entre 3 et 4 % de la main-d'œuvre disponible selon les pays ; soit, en France, entre 600 000 et 800 000 personnes. Revenir au plein emploi signifierait donc gagner entre 300 000 et 500 000 sur le nombre actuel des chômeurs. Cela exige sans doute beaucoup d'innovations, en développant le travail à temps partiel par exemple, en freinant l'immigration (c'est fait), ou en acceptant un nouvel arbitrage entre le salaire et l'emploi (dans une certaine mesure, ce que gagne l'un l'autre le perd).

Paradoxe

C'est ici que la politique libérale trouve ses limites pour vaincre la crise. D'une certaine façon, il y a un paradoxe à vouloir résoudre une crise qui est — pour partie — une crise de l'économie libérale par un surplus de libéralisme. L'économie de marché ne conduit pas toujours aux décisions les meilleures : on l'a vu à propos du prix du pétrole et dans le flottement des monnaies. Il y a de larges secteurs des économies modernes qui échappent à l'économie de marché.