Exactement la bavure idéologique qui a causé la perte de l'ex-président dit renégat, Liou Chao-chi ! Enfin, dès septembre 1977 était annoncée une prochaine et substantielle augmentation des salaires bloqués depuis quatorze ans : entre 100 et 400 F par mois pour la plupart. Pour pousser à ouvrir l'éventail, Teng Hsiao-ping, fraîchement réhabilité, ne craint pas de laisser publier qu'il gagne, lui, 1 200 F. Il est vrai que, dès décembre, le Quotidien du peuple ose écrire : « L'égalité n'est pas l'objectif pour lequel nous luttons. » Alors, promoteur de cet autre mot d'ordre hérité de Chou En-lai : les « quatre modernisations » indispensables (agriculture, industrie, défense, recherche scientifique), Teng sera, avec son ami Fang Yi, vice-président de l'Académie des sciences devenu membre du Bureau politique, vice-Premier ministre et ministre des Sciences et Technologies, la cheville ouvrière de la Conférence nationale sur les sciences qui siège à Pékin, une fois close la session parlementaire.

Aux 6 000 délégués sont soumis les 8 objectifs pour que la Chine rattrape son retard : méthodes d'agriculture, sources d'énergie, matériaux, ordinateurs, lasers, espace, physique des hautes énergies, génétique. Parallèlement sont menées une réforme de l'enseignement, qui insiste sur les connaissances plus que sur l'idéologie, et une campagne de réconciliation avec les intellectuels accompagnée d'un retour à des œuvres bannies : opéras traditionnels, pièces de Shakespeare, compositions de Beethoven, Chopin, Liszt ou romans de Balzac.

Composition de l'Assemblée

Quelques revenants et beaucoup d'inconnus dans la nouvelle Assemblée nationale, patiemment dosée dans les provinces avant qu'elle soit appelée à siéger à Pékin du 26 avril au 5 mars 1978. D'après l'agence Chine nouvelle, on y trouve 63 % (presque les 2/3) de jeunes ou de délégués d'âge moyen et seulement 60 % d'ouvriers, paysans et soldats (contre 72 % dans la précédente assemblée de janvier 1975). En revanche, les cadres et intellectuels (récemment encore méprisés) représentent près de 1/3 de l'Assemblée, où les femmes sont un peu moins représentées ; 21 % au lieu de 25. Les lointaines provinces, plus ou moins turbulentes, apparaissent parfois comme sous-représentées. Ainsi, les 90 millions d'habitants de Setchouan (bien que, ou parce que, province d'origine de Teng Hsiao-ping) ont envoyé moins de délégués en 1978 qu'en 1964, alors que, dans le même temps, les effectifs de l'Assemblée ont augmenté de 15 %. Enfin Changhai (ancien fief de la bande des Quatre) est passé de 140 à 184 délégués, mais Pékin reprend la main avec un chiffre plus que doublé : de 101 à 217. Le traitement de faveur revient à l'armée, pilier indispensable du régime. Avant d'entrer davantage à la direction du parti et au gouvernement, elle s'est assuré 503 sièges (dont l'un pour Teng Hsiao-ping lui-même) au lieu de 120 ! Soit plus d'un délégué sur 7 dans une Assemblée qui en compte 3 497.

Représentation des tendances

Signe inattendu de la volonté d'ouverture du nouveau régime, la présence de 16 représentants des milieux religieux à l'Assemblée de la conférence consultative du peuple chinois puis comme observateurs à l'Assemblée nationale du peuple. Musulmans, bouddhistes, lamaïstes, même le Panchen Lama, un évêque protestant, le révérend Ting Kuang-hsu, ancien président du séminaire de théologie de Nankin, Liu Liang-mo, secrétaire général adjoint de la Conférence des églises protestantes, et deux évêques catholiques : Mgr Chang Chia-shu, ancien évêque de Changhai, sacré en 1960 après le schisme de l'Église chinoise, et, surtout, Mgr Ignace Pi Chu-shih, nommé par Rome, lui, ancien archevêque de Chen-yang, métropolitain de Mandchourie et président de l'Association patriotique des catholiques de Chine fondée en 1957. Âgé de 81 ans, il n'avait pas reparu depuis 1962 et ce revenant pourrait servir d'intermédiaire en cas d'éventuels pourparlers entre Pékin et le Saint-Siège. Il resterait encore en Chine populaire 2 500 000 catholiques, un millier de prêtres, entre 40 et 80 évêques, et à Pékin une seule église ouverte, l'église Saint-Joseph, fréquentée uniquement par des étrangers. Coïncidence ? Pendant la session de l'Assemblée nationale, la messe du dimanche a été suivie par une dizaine de Chinois. Fondateur de l'Association patriotique des catholiques de Chine, Chou En-lai était aussi partisan du Front uni entre le parti communiste et les autres petits partis démocratiques, composés de « bourgeois repentis » qui ont formé, dès l'avènement du régime maoïste en 1949, la Conférence consultative du peuple qui n'a jamais été convoquée depuis 1954, et son Comité national qui n'a jamais été réuni depuis 1965, le relais étant pris par l'Assemblée nationale. La renaissance de cette conférence et de son comité (dix fois plus nombreux qu'à l'origine 2 000 membres) indique un désir des dirigeants de s'appuyer sur diverses tendances de l'opinion. Indication confirmée par l'élection à sa présidence de l'ex-dauphin de Chou En-lai, Teng Hsiao-ping, plus préoccupé d'efficacité que d'idéologie. Un des élus au Comité permanent est un capitaliste national, Jung Yi-jen, ex-gros industriel du textile de Changhai.

Ouverture

De grands écrivains chinois contemporains sont réhabilités, et l'on se laisse aller aux tentations dénoncées hier comme « bourgeoises » : une frénésie d'achats précède la fête de printemps, et les coiffeurs réclament au ministère du Commerce le retour aux coupes (donc aux tarifs) de plusieurs catégories. « Faites des bénéfices, ordonne le Quotidien du peuple aux gestionnaires, sinon ayez honte de ne pas en faire ! » Le pays à peu près apaisé peut à nouveau s'ouvrir aux touristes : de 340 000 en 1977, on souhaite passera un million en 1978. Plusieurs milliers de visas sont accordés aux agences françaises encouragées par un événement qui ne s'était jamais produit depuis la Révolution culturelle : l'autorisation d'un mariage à Pékin entre un Chinois et une Française.