Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Synthèse

1977-1978 : l'année du choix

Entièrement dominée de juin à mars par l'attente, la préparation, puis le déroulement des élections législatives, 1977-1978 restera, dans l'histoire politique française, comme l'année du choix, un choix dont l'avenir dira s'il était le bon.
Pour la première fois en effet, à l'occasion d'élections législatives sous la Ve République, exception faite de 1967, la gauche a vraiment paru un moment sur le point d'accéder au pouvoir après vingt ans de lutte. Son échec, les 12 et 19 mars 1978, n'a-t-il fait qu'ajourner l'échéance comme elle l'espère ? Ou bien, comme beaucoup le pensent, est-ce un grand tournant qui la rejette pour longtemps dans l'opposition ?
De toute façon, ces douze mois mouvementés et tendus ont été si chargés de « politique politicienne » que l'évolution de la société française s'en est trouvée comme masquée, oubliée presque. Et pourtant, à l'abri du rideau de fumée des élections, cette évolution s'est accélérée et amplifiée. Or, c'est de cette transformation-là, rapide et profonde, bien plus que des partis et des urnes, que pourraient bien surgir demain des nouveautés bouleversantes.

Après coup, lorsque l'événement est survenu, il est toujours facile de prétendre : « Je m'y attendais, je l'avais prévu. » Et aisé aussi d'attribuer rétroactivement à telle péripétie, dont l'importance, sur le moment, n'avait pas été perçue, un caractère décisif. Cependant, prévisionnistes et futurologues se trompent comme les autres et même plus souvent que les autres. À cet égard, l'année 1977-1978, pleine d'enseignements, devrait inciter les prophètes à la modestie.

Au début de l'été 1977, en effet, bien rares sont les experts de la politique française qui se hasarderaient à jouer la majorité gagnante. À travers les élections cantonales de 1976, les élections municipales de mars 1977, la gauche paraît s'avancer vers le pouvoir, que son candidat a manqué de peu en 1974, d'un pas décidé, d'une démarche quasi irrésistible. Bien sûr, on sait bien, et on le dit assez, que le comportement des électeurs n'est plus le même lorsqu'il s'agit d'engager par le choix des députés toute l'orientation du régime que lorsque le vote n'a pour objet que la désignation des élus locaux. On sait et répète aussi que l'opposition, n'ayant pas autre chose à faire, consacre tout son temps et toute son énergie à mener une campagne offensive et vigoureuse, alors que la majorité et le gouvernement, placés fatalement en position défensive et accaparés par les soucis de gestion, attendent leur heure et n'ont pas encore pris le départ.

Cependant, tout semble plaider en faveur de la gauche. Elle est unie autour de son programme commun qu'elle a décidé d'actualiser. Aussi, au cours d'un sommet le 17 mai 1977, a-t-elle mis en place des groupes de travail composés de représentants des trois partis associés, communistes, socialistes et radicaux de gauche, pour entreprendre cette mise à jour. Si des grincements se font parfois entendre, si on commence à s'interroger sur la détermination du PCF dans l'alliance et pour la conquête du pouvoir, il reste qu'en se séparant le 29 juillet 1977 les groupes de travail peuvent se prévaloir d'importants progrès réalisés au cours de quinze réunions successives sur des sujets essentiels et délicats. Les points litigieux demeurent certes nombreux, mais la négociation doit reprendre à la rentrée et on viendra à bout des difficultés qui subsistent, nul n'en doute.

François Mitterrand, chef de l'opposition, parle haut et fort : ainsi, le 12 juillet, dans une conférence de presse, réplique-t-il vertement aux attaques lancées quatre jours plus tôt par le président de la République dans un discours prononcé à Carpentras et il accuse le patronat d'avoir dépensé un milliard de F pour financer la campagne contre le programme commun. Le 26 juillet, le premier secrétaire du parti socialiste, pour sortir de l'impasse les pourparlers avec son partenaire communiste sur le chapitre de la défense et affirmer une position originale de sa propre formation, avance l'idée d'un référendum sur le développement de la force de dissuasion dès l'arrivée au pouvoir de la gauche.