Les nombreux voyages présidentiels à l'étranger et les non moins fréquentes réceptions de chefs d'État occupent certes le petit écran, mais sans vraiment intéresser le public. Pire même : plusieurs de ces épisodes et bien d'autres menus événements de la vie nationale fournissent autant d'occasions, pour le président de la République et son ancien Premier ministre, d'étaler leurs divergences. Tel est le cas lors de la visite en France de Brejnev, fin juin : la grave question de savoir si le chef de l'État soviétique se rendra ou non à l'Hôtel de Ville de Paris (où, en définitive, il ira passer exactement vingt minutes) et si J. Chirac sera invité au dîner offert à l'Élysée en l'honneur de l'hôte de la France (mais J. Chirac n'y sera pas convié) agit davantage et fait plus de bruit que le contenu des conversations et les rapports de la France avec l'URSS.

L'actualisation du programme commun

Par contraste avec le climat de pessimisme et de désordre qui règne ainsi dans la majorité, la gauche paraît longtemps sereine et relativement unie. Cependant, on voit se tendre peu à peu, dans le parti socialiste, les rapports du premier secrétaire, F. Mitterrand, avec le CERES, qui a été éliminé en 1975 de la direction executive et qui se trouve souvent, sur des questions de fond et de tactique, en désaccord avec la majorité du parti. Déjà imposant ses candidats là où il contrôlait la fédération départementale ou locale du PS (et ce fut notamment le cas à Paris), le CERES s'était heurté parfois durement aux majoritaires et avait refusé de se plier aux vœux, voire aux injonctions du leader. À l'approche du congrès annuel qui devait se tenir à Nantes à la mi-juin, la querelle s'envenimait au point qu'on en venait à se demander si le compromis demeurait possible ou si la rupture allait intervenir. Ce ne fut ni l'un ni l'autre. Après de rudes affrontements, puis d'interminables négociations, la synthèse apparaissait peu souhaitable à F. Mitterrand, et le CERES, qui avait recueilli environ 24 % des mandats, devait s'engager à ne pas agir comme une fraction, comme un parti dans le parti sans retrouver pour autant sa place dans la direction executive du PS.

Tandis qu'il affirmait ainsi son emprise sur son parti et imposait sa loi à la minorité, F. Mitterrand devait aussi faire face à un accès de mauvaise humeur de son allié communiste. Les élections municipales ont fait apparaître de façon indiscutable que l'union de la gauche est payante pour le PCF qui a fait son entrée dans le conseil de nombreuses localités grâce aux listes communes et même conquis des fauteuils de maires que, sans l'appui des socialistes, il n'aurait jamais pu occuper. Mais, en même temps, le PS est apparu comme le chef de file de l'opposition, le plus grand parti de la coalition, et son premier secrétaire s'exprime souvent en porte-parole de la gauche tout entière. Au fil du mois, le PCF voit ainsi se concrétiser les craintes de ceux qui, dans ses rangs, redoutent d'être dominés et menés par les socialistes, de n'avoir en cas de victoire qu'une part modeste dans le partage des responsabilités gouvernementales, de se voir imposer des décisions, voire une politique réformiste, plus proche du programme socialiste que du programme communiste, voire du programme commun. Soucieux de ménager les électeurs centristes et les hésitants, dont l'appoint lui est indispensable pour assurer le succès de la gauche, F. Mitterrand lui-même et certains de ses lieutenants modèrent et nuancent leurs propos, au risque d'irriter parfois, voire d'inquiéter, les communistes.

Quelques incidents révélateurs laissaient entrevoir dès le mois de mai les craintes et les soupçons du PCF. C'est ainsi qu'à trois jours de la rencontre télévisée Barre-Mitterrand, le parti communiste produisait brusquement un chiffrage de son propre programme qui était de nature à embarrasser notablement l'allié socialiste et qui expliquait en effet, pour une part au moins, la gêne de F. Mitterrand, la faiblesse relative de sa prestation face à R. Barre.