C'est une prise de position importante. Elle montre le chemin parcouru depuis les années 60, où de bons esprits (par exemple ceux du club Jean-Moulin) voyaient dans la réduction drastique du nombre des communes la condition de la décentralisation. L'échec de toutes les tentatives plus ou moins autoritaires de fusion montra, à l'évidence, le caractère utopique de ce grand dessein technocratique. Ni la carotte (les incitations financières) ni le bâton ne parvinrent à convaincre les petits maires à baisser le pavillon de leurs mairies. Mais, surtout, les exigences nouvelles de la démocratie locale, la nécessité de rapprocher les administrateurs de leurs administrés, la montée des associations et des comités, tous ces éléments conduisirent au maintien des mairies dans les plus petits villages et hameaux.

Bien sûr, le revers de la médaille réside dans le fait que l'immense majorité de ces communes ne disposent pas du minimum de moyens (financiers et techniques) nécessaires pour exercer de véritables responsabilités en matière d'urbanisme, d'aménagement et d'équipement. Pour résoudre cette contradiction, les Sages de l'équipe Guichard ont inventé une nouvelle entité : la communauté de communes. Dans cette nébuleuse, chaque bourg, chaque village conserve sa mairie et son maire, tout en étant englobé dans un ensemble plus vaste, susceptible de faire face avec efficacité aux obligations de l'aménagement. « Il ne s'agit ni d'absorber les communes, ni de les coiffer, mais de les fédérer dans une communauté de communes pour l'exercice de certaines compétences : le noyau des compétences que la loi fixera, celles en outre qu'elles décideront librement de mettre dans la communauté. »

Objectifs

Il s'agit rien moins que de « tracer une nouvelle carte administrative de la France », basée sur la création d'environ 3 600 communautés, partagées en deux groupes :
– une centaine de grosses communautés centrées sur une ville de plus de 50 000 habitants et dont la population moyenne serait d'environ 175 000 habitants ;
– le reste, dont la population moyenne serait comprise entre 5 000 et 20 000 habitants.

« La différence capitale avec l'organisation actuelle sera ce gain en homogénéité et le fait qu'ainsi la décentralisation pourra s'appuyer sur ce réseau simplifié, dont les plus petits éléments auront la taille, la force et la capacité d'une petite ville. »

Administrées par un conseil désigné par les communes fédérées et présidées par un syndic, ces nouvelles communautés tireraient l'essentiel de leurs compétences d'un abandon par l'État d'un certain nombre de ses prérogatives actuelles. La commission Guichard recommande ainsi « un désengagement radical de l'État en matière d'urbanisme ». La responsabilité entière de l'élaboration des plans d'occupation des sols, l'instruction et la délivrance des permis de construire, l'action foncière et le logement, la gestion de la voirie communale et des transports collectifs, l'équipement et la promotion des zones industrielles devraient ainsi être mis sous la coupe des communautés.

Pour atteindre ces objectifs, une nouvelles définition des ressources financières est de toute évidence indispensable. Dans cet esprit, la commission Guichard propose notamment que la taxe professionnelle (l'ancienne patente péniblement rénovée) soit affectée aux communautés, les trois autres impôts locaux (taxes sur le foncier bâti et non bâti, taxe d'habitation) étant attribués aux communes. Par ailleurs, les communautés pourraient bénéficier d'un prélèvement local sur la masse salariale, tandis que des « dotations » (effectuées par l'État, mais dont l'emploi serait librement décidé par les collectivités) remplaceraient les subventions allouées au coup par coup, sous le carcan tatillon de la tutelle du ministre des Finances.

Critiques

Effort considérable pour ouvrir la voie à la décentralisation, le rapport Guichard devait cependant subir un feu croisé de critiques, émanant de deux camps opposés :
– d'un côté, les maires des petites communes considéraient comme un dangereux brûlot cette tentative de regrouper leurs bourgades dans des ensembles plus vastes ; ils craignaient d'y perdre finalement l'essentiel de leurs prérogatives, et toutes les déclarations et promesses sur le maintien de leur autonomie ne parvenaient pas à surmonter le mur d'une longue méfiance ;
– en revanche, les élus des grandes villes trouvaient souvent trop timoré le rapport Guichard. Des grands maires de gauche, comme Hubert Dubedout (Grenoble) ou Pierre Mauroy (Lille) allaient même jusqu'à demander l'élection au suffrage universel direct des nouvelles communautés.