Un nouveau pas a été franchi en 1976, avec la mise en évidence directe de particules charmées. Une équipe de physiciens européens et américains, lançant un faisceau de neutrinos à haute énergie sur des plaques à émulsion, a enregistré une trace longue de 180 microns, correspondant à une particule charmée d'une durée de vie de 10– 13 seconde.

Stockage

De leur côté, les chercheurs du laboratoire de l'accélérateur linéaire d'Orsay ont mis en évidence (janvier 1977) une nouvelle particule, dont l'existence était prévue dans le cadre de la théorie des quarks. Ce succès a été obtenu grâce à l'anneau de stockage et de collision d'électrons dit DCI, dont l'histoire illustre les difficultés financières auxquelles se heurte la recherche fondamentale, et l'ingéniosité que les physiciens déploient pour les surmonter.

On connaît le principe des anneaux de stockage : un accélérateur injecte dans un anneau une bouffée de particules chargées, qui continuent d'y tourner. Quand elles ont effectué un tour, l'accélérateur envoie une seconde bouffée, et ainsi de suite. On finit par créer dans l'anneau un faisceau de particules accélérées de dix mille à cent mille fois plus intense (plus lumineux, disent les physiciens) que celui qui est issu de l'accélérateur. Quelle que soit l'expérience projetée, les événements intéressants auront de dix mille à cent mille fois plus de chance de se produire qu'avec le faisceau primaire.

Collisions

Mais l'intérêt majeur des anneaux de stockage est de permettre des collisions entre particules, dans lesquelles l'énergie disponible pour la réaction est beaucoup plus élevée qu'avec les particules lancées sur une cible fixe. Dans cette perspective, on peut construire deux anneaux superposés, dans lesquels les particules stockées tournent en sens inverse. Si une intersection est ménagée entre les anneaux, les deux faisceaux peuvent se heurter frontalement. Ainsi fonctionnent, au CERN, les ISR, anneaux de stockage de protons accélérés.

On peut aussi, dans un même anneau, faire tourner deux faisceaux de particules en sens inverse, pourvu que leurs charges électriques soient de signe opposé. C'est ce qu'on a entrepris de faire à Orsay, avec des électrons, de charge négative, et leurs antiparticules, de même masse mais de charge positive, les positons. Une même machine (en l'occurrence l'accélérateur linéaire d'Orsay) peut servir à accélérer des électrons ou des positons. Les deux nuages de particules se croisent plusieurs millions de fois par seconde ; le plus souvent, ils s'interpénètrent sans qu'aucun électron ne rencontre un positon. Les collisions sont rares. Quand il s'en produit une, elle déclenche automatiquement un dispositif qui photographie l'événement, dont les traces sont soigneusement étudiées et interprétées.

Coppélia

Le premier anneau mis en service à Orsay en 1967, ACO, recevait des faisceaux d'électrons et de positons d'une énergie de 0,5 GeV, ce qui limitait ses possibilités. L'équipe qui l'avait construit élabora un projet baptisé Coppélia, avec lequel les faisceaux, circulant dans deux anneaux, monteraient à 3 GeV. Faute de crédits, il s'avéra impossible de construire un bâtiment qui abriterait Coppélia. On se rabattit sur une salle ronde où se déroulaient jusqu'alors diverses expériences de physique utilisant l'accélérateur, et que sa forme avait fait surnommer l'igloo. Pour faire entrer la machine dans ce logis étriqué, on réduisit son diamètre, et du même coup l'énergie des faisceaux, ramenée à 1,8 GeV. De toute manière, le manque de crédits avait arrêté les expériences avec l'accélérateur. Et Coppélia devint plus modestement DCI, Dispositif de collisions dans l'igloo.

Oméga prime

La construction du DCI commence en 1975. Le premier anneau est opératoire en juin 1976, mais, toujours pour des raisons budgétaires, au lieu des détecteurs de particules spécialement prévus, il n'est muni que d'un détecteur récupéré sur l'ancien anneau ACQ. Cependant, dès les premières expériences, les physiciens du laboratoire d'Orsay repèrent la particule J/psi. Puis alors en janvier 1977, éclate la nouvelle : dans les collisions électrons-positons, l'équipe d'Orsay a identifié une résonance (particule à durée de vie trop brève pour être directement détectée) se résolvant en cinq mésons pi ou pions. Ce méson vecteur (ainsi nommé parce qu'il sert d'intermédiaire fugace aux produits de la collision) est probablement une résonance, oméga prime, prévue par la théorie des quarks, d'une particule bien connue, le méson oméga. Le modèle des quarks reçoit ainsi une nouvelle confirmation.

Intensité

Le groupe d'Orsay continue à chercher d'autres mésons du même type, également prévus par la théorie. À défaut de Coppélia, qui aurait donné à la France un des plus puissants anneaux de collision électrons-positons existant dans le monde, on attend d'autres bons résultats du DCI avec l'entrée en service du deuxième anneau, prévue pour le courant de 1977. Ce système des deux anneaux (unique au monde) permet de stocker des faisceaux beaucoup plus intenses. Dans un anneau isolé, lorsque des faisceaux de particules de charge électrique opposée se croisent, il naît des forces qui tendent à les dévier de leur trajectoire, ce qui oblige à ne pas dépasser une certaine limite de luminosité. En utilisant deux anneaux qui ont des zones communes pour les collisions, on fait venir, d'un côté, un faisceau formé par la réunion des électrons qui tournent dans l'anneau du haut et des positons qui tournent dans celui du bas et, du côté opposé, un faisceau formé des positons venus d'en haut et des électrons d'en bas. Chacun de ces faisceaux est globalement neutre, et il n'y a pas de perturbations, donc pas de limite imposée, de ce fait, à l'intensité.

Quarks libres

Un nouvel épisode (peut-être décisif) de la chasse aux quarks a été présenté au congrès annuel de la Société américaine de physique, fin mai, par trois chercheurs de l'université Stanford en Californie, William Fairbank, Arthur Hébard et Georges Larue.