Les films français, bien qu'en perte de vitesse, assurent plus de la moitié du chiffre de la fréquentation, suivis par les films américains. L'Italie, qui, cette année encore, compte le plus fort pourcentage d'œuvres de très grande qualité (du moins parmi celles qui passent les Alpes pour être projetées sur nos écrans) n'attire que 5,54 % du nombre total des spectateurs. Enfin, sur les 670 films sortis en France en 1976, une quasi-disparition la pornographie. Si Emmanuelle, champion toutes catégories, toujours à l'affiche, s'achemine aujourd'hui lentement, mais sûrement, vers le seuil fabuleux des deux millions et demi de spectateurs, l'ensemble des films classés X ne représente cette année qu'à peine 6 % de la production et des recettes.

Curieusement, si l'on regarde la production, une impression prédomine : celle de la sagesse. Comme si la crise économique se reflétait dans les mécanismes de la création, on a l'impression que le cinéma bannit les excès, la violence, oublie même le souffle puissant de l'épopée et du lyrisme (avec des exceptions, comme le superbe, le torrentiel 1900 de Bernardo Bertolucci), au profit d'un climat plus intimiste, où la finesse de l'analyse psychologique, la justesse des sentiments en demi-teintes remplacent le sensationnel des films-catastrophes ou l'agressivité des dénonciations politiques et sociologiques. Même si les Américains et les Italiens paraissent s'essouffler un peu (on n'a guère identifié de nouveaux talents), ce sont eux, une fois de plus, qui dominent l'année cinématographique.

France

Au box-office du cinéma français, pas de surprises... La grosse rigolade est en tête. Avec L'aile ou la cuisse, lourde farce gastronomique de Claude Zidi. Flanqué de Coluche, Louis de Funès, en empereur éternellement grimaçant de la cuisine restoroute, s'y maintient sur les cimes du succès commercial, puisque le film dépasse le seuil envié du million de spectateurs en exclusivité parisienne. Juste derrière, un autre film-divertissement, mais d'une qualité nettement supérieure : Un éléphant, ça trompe énormément. Sous la direction d'Yves Robert, dont l'humour tendre triomphe enfin ici à sa juste valeur, Jean Rochefort y campe avec beaucoup de drôlerie distinguée un haut fonctionnaire quadragénaire tenté par l'adultère. Victor Lanoux, omniprésent cette année, Claude Brasseur et Guy Bedos l'entourent, et l'irrésistible partie de tennis, notamment, de ce quatuor de charme devrait rester dans les annales du cinéma d'humour.

Dans le peloton de tête, on trouve encore deux films sérieux : Le corps de mon ennemi et Le juge Fayard dit le Shériff. Le corps de mon ennemi, adapté par Henri Verneuil d'un roman de Félicien Marceau, a sans doute dérouté les inconditionnels de l'auteur de Peur sur la ville.

Malgré la présence de Jean-Paul Belmondo (et de Marie-France Pisier, qui confirme son talent dans de nombreux films de qualité, en attendant d'avoir un grand premier rôle), on n'assiste pas ici aux traditionnelles cascades, aux exercices périlleux chers à Bébel le casse-cou.

La grande bourgeoisie industrielle du Nord y est dépeinte avec assez de force : un film plus qu'honorable, au succès mérité. Le juge Fayard, lui, plonge plus directement encore dans la dénonciation de certaines de nos tares. Yves Boisset, qui a eu des ennuis avec la censure (son film est sorti truffé de coupes) mais a obtenu, ceci en partie sans doute pour compenser cela, le prix Louis-Delluc, s'est directement inspiré de quelques affaires récentes pour monter en épingle l'influence, sur la vie politique mais aussi sur le déroulement normal de la justice, du Service d'action sociale (SAC). Sans nuances peut-être, mais vigoureusement, avec l'aide d'interprètes efficaces, Patrick Dewaere d'abord, mais aussi Philippe Léotard, l'une des révélations de l'année, le film d'Yves Boisset a fait carrière malgré les controverses parfois injustes qui ont entouré sa sortie.

Du même Boisset, lassé peut-être de déchaîner les passions politiques. Un taxi mauve, adaptation à gros budget du succès de librairie de Michel Déon avec, aux côtés du toujours excellent Philippe Noiret, une distribution internationale (Charlotte Rampling, Peter Ustinov et le délicieux vieux monsieur qu'est devenu Fred Astaire), est l'histoire, joliment racontée dans les très touristiques décors de la verte Irlande, d'une solitude.

Maîtrise

Le succès, si important aujourd'hui où les capitaux se détournent de plus en plus des véritables créateurs, n'a pas, cette année, couronné les meilleurs. Et l'on peut notamment regretter la carrière plus que moyenne de l'un des plus beaux films de 1977 : Providence, d'Alain Resnais. Il est vrai que son auteur n'a pas recherché la facilité. Tourné en anglais, avec de très remarquables interprètes, Dirk Bogarde surtout, et sir John Gielguld, ce portrait d'un écrivain agonisant, aux prises avec les cauchemars de la maladie et de la création, baignant dans les couleurs glauques et sombres de l'onirisme, a tout pour déconcerter. Mais quelle maîtrise, quelle intelligence, quelle puissance, insidieuse, de l'image !