Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

On retiendra si l'on veut un petit roman mondain de Nathalie Sarraute Disent les imbéciles, et surtout Angst d'Hélène Cixous, qui semble ne pas vouloir censurer une dictée intérieure prolixe, tout en essayant de remonter le fleuve jusqu'aux sources de l'angoisse existentielle.

Signes

À toute la littérature évoquée ici certains préféreront la mince plaquette de Julien Gracq Les eaux étroites, modèle d'une prose exactement gouvernée par une intelligence souveraine. Ce n'est que la description d'un ruisseau et de ses rives : point d'imagination ici non plus, mais des images et une force de suggestion qui nous fait voir l'autre côté des images, comme si on pouvait lire dans les lignes de la terre ainsi qu'on lit dans les lignes de la main ou dans les constellations du ciel. La littérature retrouve pour un moment son pouvoir, celui de déchiffrer les signes.

En vedette américaine, ou presque, Les États du désert de Marc Cholodenko. Si, à la fin de 1976, on avait demandé à ces sénateurs de la République des lettres de désigner le début le plus éclatant de l'année, une large majorité aurait désigné ce livre, comme on le voit par une enquête du Bulletin du livre, et le prix Médicis ne peut être contesté. Livre bien remarquable en effet d'un garçon de vingt-six ans, d'une architecture complexe, sonate où l'on entend à la fois la voix d'un narrateur attentif et celle d'un moraliste, comme chez Proust, et parfois dans la même tonalité ; livre savant qui peut retenir les amateurs de romans traditionnels comme les amateurs plus évolués. L'auteur a le besoin et le talent de faire reposer le meilleur de son œuvre sur deux colonnes moins rares, le roman policier et le roman érotique. Mais il en tire sans complaisance une géographie des États du désert, c'est-à-dire de la solitude. De prochains livres nous diront sans doute si cette solitude est vécue comme un état de l'être ou comme une proposition de l'homme de lettres.

La maladie de l'imagination poétique et littéraire tient à des causes qui dépassent largement notre domaine et concernent toute l'attitude de l'homme et de sa civilisation en face du monde. Elle ne pourra être guérie par quelque imitation ou parodie de l'attitude scientifique, elle pourrait l'être grâce à un mouvement analogue à celui du surréalisme qui a revivifié nos lettres il y a un demi-siècle. Comme il est naturel, les maîtres des anciennes générations disparaissent les uns après les autres. La France cette année a fait enterrer son dernier prophète, André Malraux, par son premier chef comptable, en présence d'un dieu mort arraché pour quelques instants à son linceul de pourpre. Il est peut-être temps d'élever un autel au Dieu Inconnu.

Le palmarès des grands prix 1976

GONCOURT : Patrick Grain ville, Les flamboyants.

RENAUDOT : Michel Henry, L'amour les yeux fermés.

FÉMINA : Marie-Louise Haumont, Le trajet.

MÉDICIS : Marc Cholodenko, Les États du désert.

Doris Lessing (écrivain britannique), Le carnet d'or.

INTERALLIÉ : Raphaëlle Billetdoux, Prends garde à la douceur des choses.

PRIX DES LIBRAIRES : Pierre Moustiers, Un crime de notre temps.

La Bourse Goncourt de la nouvelle est attribuée à Henri Gougaud, Départements et territoires d'outre-mort.