On a appris depuis qu'en réalité Jacques Chirac avait présenté sa démission à V. Giscard d'Estaing dès la mi-juillet et qu'il avait alors accepté d'en différer l'annonce d'un mois ainsi que son départ. La surprise est donc grande lorsqu'éclate, le 25 août, la nouvelle de la démission collective du gouvernement, publiquement commentée par J. Chirac dans les termes suivants : « Je ne dispose pas des moyens que j'estime nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre. » Cette procédure et ce type de déclaration, sans précédent sous la Ve République, sont suivis d'une seconde surprise : le choix de Raymond Barre pour constituer le nouveau cabinet. Les changements intervenus dans la composition du gouvernement ne sont pas considérables : trois ministres et huit secrétaires d'État se retirent, neuf portefeuilles changent de titulaire, Olivier Guichard devient ministre d'État et garde des Sceaux, Louis de Guiringaud remplace Jean Sauvagnargues aux Affaires étrangères, il est fait appel à Robert Boulin, Christian Beullac et Pierre Brousse. La portée politique de l'opération réside donc essentiellement dans le retrait de J. Chirac.

Mis en place pour conduire la lutte contre l'inflation et le chômage, présenté par le président de la République lui-même comme le meilleur économiste français, R. Barre élabore et publie le 22 septembre son plan d'action économique et social. Accaparé par les soucis de gestion, aura-t-il le loisir de se préoccuper de politique ? On ne le pense guère : Olivier Guichard n'a-t-il pas été chargé, le 3 septembre, de « coordonner la majorité présidentielle » ? Très vite, pourtant, le Premier ministre se montre déterminé à assumer « la plénitude de ses attributions » et soucieux de marquer en toute occasion qu'il est bien le chef politique du gouvernement et de la majorité. C'est précisément dans ce domaine qu'il ne va pas tarder à se heurter à Jacques Chirac.

J. Chirac passe à l'offensive

Dès les 13 et 14 septembre, trois semaines à peine après avoir quitté le pouvoir, l'ancien Premier ministre descend dans l'arène et plante le décor de sa nouvelle entreprise. Il lance en effet deux appels, de ton très gaullien, conviant les Français à « se rassembler » et les gaullistes, ses « Compagnons » de l'UDR, à organiser autour d'eux ce rassemblement. Ce sont les termes mêmes employés par le général de Gaulle pour fonder, quelques mois après son départ du pouvoir en 1946, le premier parti gaulliste, le Rassemblement du peuple français, qui devait échouer et, abandonné par son chef six ans plus tard, se dissoudre. Le 3 octobre, depuis Egletons, au cœur de son fief de Corrèze, J. Chirac répète son invitation à « un vaste rassemblement populaire ». Le mouvement est lancé et son orientation bien claire : comme de Gaulle trente ans plus tôt, le leader de l'UDR entend « rassembler » contre l'opposition de gauche, dominée, estime-t-il, par les communistes, mais aussi contre ou, au moins, malgré les dirigeants du régime.

Pour la première fois sous la Ve République fondée par de Gaulle en 1958, le président de la République, le Premier ministre et la grande majorité des membres du gouvernement ne sont pas des gaullistes, et le gaullisme paraît en perte de vitesse, bien que son groupe parlementaire au Palais-Bourbon demeure le plus nombreux de la majorité. Rendre au gaullisme sa primauté, la direction de la majorité et de la politique de l'exécutif, tel est l'objectif.

Cependant, l'offensive ainsi déclenchée doit, pour quelques semaines, s'interrompre. Une échéance se présente, et J. Chirac s'y trouve personnellement en cause : sept élections législatives partielles ont été fixées au mois de novembre. Six sont provoquées par la volonté d'anciens membres du gouvernement Chirac, et d'abord de l'ancien Premier ministre lui-même, de récupérer leur siège de député, le septième par le décès accidentel d'un député giscardien. Ce sont donc sept sièges détenus par la majorité qui se trouvent en balance. Le test, après le changement de gouvernement et à quatre mois des élections municipales, est intéressant. On enregistre, pour ces sept consultations, une vive progression du parti socialiste, son allié communiste marquant le pas, bien que le report des suffrages au second tour sur les candidats de l'un ou de l'autre parti se soit opéré sans difficulté. En face, l'UDR et les centristes maintiennent à peu près leurs pourcentages de voix, les républicains indépendants rencontrant davantage de difficultés. En définitive, si J. Chirac en Corrèze et, à Paris, J. Tibéri, UDR, l'emportent dès le premier tour, la majorité perd dans le Rhône et la Haute-Loire deux des sept sièges à pourvoir, occupés par des républicains indépendants sortants et conquis par deux socialistes.