Et l'opinion publique secouée se pose deux questions très différentes. La première : des industriels ont-ils choisi délibérément d'exporter dans un pays voisin, où les contrôles sont moins rigoureux peut-être, un segment dangereux de leur chaîne de production ? La seconde : est-il possible, au contraire, que les mêmes émanations gazeuses fusent au beau milieu de la grande agglomération genevoise, ou d'une autre ? La fabrication de l'aluminium ronge, d'ailleurs, des forêts valaisannes, et la multiplication des centrales nucléaires suisses, allemandes et françaises dans le bassin rhénan fait trembler Bâle, tandis que Genève, encore, se raidit sur deux fronts : contre le réacteur de Verbois et contre le surrégénérateur français Phœnix de Malville... L'ère où la technique réserve à l'homme ses cadeaux empoisonnés ?

Été chaud pour les catholiques aussi : de son camp retranché d'Écône, près de Sion, Mgr Marcel Lefebvre défie Rome. L'évêque de Lausanne, Fribourg et Genève, Mgr Mamie, a retiré l'agrément qu'avait donné son prédécesseur à la célèbre Fraternité intégriste, et, le 24 juillet 1976, le pape suspend le rebelle a divinis, le privant ainsi de tout droit d'exercer un quelconque ministère. En vain : Écône reste une ruche de séminaristes illégalement ordonnés.

Conflit

La température, au sens propre, monte partout : les paysans désolés regardent les crevasses de sécheresse qui fendillent leurs champs. Et le 9 août éclate la grève la plus importante que le pays ait connue depuis près d'une quarantaine d'années. La paix du travail n'empêche pas quelque 1 300 salariés de l'entreprise Dubied, à Couvet, Marin et Peseux, dans le canton de Neuchâtel, de se croiser les bras quatre semaines durant.

Dubied fabrique des machines à tricoter. C'est un secteur où la concurrence internationale devient particulièrement dure. La récession n'arrange rien : les pertes se chiffrent par dizaines de millions, les travailleurs se voient refuser des augmentations, imposer des vacances forcées, licencier par vagues. Ils refusent de se plier à la décision d'un tribunal arbitral qui les priverait de leur treizième salaire. Embarrassé, leur syndicat, la FTMH (Fédération des travailleurs sur métaux et horlogers) soutient leurs revendications, bien que le contrat collectif soit manifestement violé, et tente parallèlement de calmer les esprits, d'empêcher la politisation du conflit par les mouvements d'extrême gauche, d'amener néanmoins les employeurs à composer. Habile et convaincant, un magistrat socialiste, le conseiller d'État René Meylan, s'interpose et finit par obtenir, non sans peine, des concessions mutuelles : le travail reprend, mais le conflit continue à couver sous la cendre.

Espionnage

Et, le lundi 16 août, Berne a publié des révélations en forme de gros orage. Un officier général, le colonel brigadier Jean-Louis Jeanmaire, chef des troupes de protection aérienne en retraite, a été arrêté, convaincu d'espionnage au profit de l'Union soviétique.

Âgé de 66 ans, J.-L. Jeanmaire passait pour un homme dépourvu de finesse, médiocrement intelligent, volontiers démagogue. À se demander (et le Parlement ne négligera pas de poser la question : il forme une commission d'enquête) comment on peut obtenir un si haut grade avec de si petites qualifications. Mais le mal est fait.

Le secret de l'enquête n'empêche pas des informations très inquiétantes, et probablement exactes en gros, de se répandre : le colonel brigadier, qui ne manquait pas d'afficher des convictions très anticommunistes, a livré à Moscou, par l'intermédiaire d'un attaché diplomatique, des plans et des renseignements de la plus haute importance, voire même le dispositif complet de la défense nationale.

Quelles ont été ses raisons de trahir ? On doit se contenter d'hypothèses, qui vont de la vanité blessée (Jeanmaire se serait jugé digne de promotions plus brillantes ou plus rapides) à l'intrigue de série noire (sa femme aurait été séduite par un colonel soviétique en poste à Berne). On ne sait pas davantage comment les autorités suisses ont découvert son double jeu, qui durait, semble-t-il, depuis plus d'une dizaine d'années. L'alarme aurait été donnée par les services de contre-espionnage de la République fédérale allemande. Ce qui fait naître de nouvelles incertitudes : les fuites ont-elles inquiété les puissances de l'OTAN ? Les États-Unis eux-mêmes ont-ils refusé, pendant de longs mois, de livrer à l'armée suisse — qui leur achète du matériel militaire — des renseignements techniques dont les agents secrets américains retrouvaient ensuite le contenu fidèlement reproduit du côté de Moscou ? Mais alors quel est, en dépit de la neutralité helvétique, le degré d'imbrication de son appareil défensif avec celui des grands pays occidentaux ? Et, d'un autre côté, ne peut-on pas imaginer que l'URSS elle-même a vendu la mèche, après avoir fait brûler la dernière goutte de cire, pour embarrasser Berne ou d'autres capitales ? En tout cas, un journal moscovite, la Literatournaia Gazetta, publie un stupéfiant plaidoyer pour Jeanmaire : alors que lui-même a fait des aveux, ce texte, évidemment officieux, le présente comme la victime innocente et pure d'une machination de Bonn.