Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

Tel est le cœur de la stratégie gouvernementale, vivement contestée par l'opposition. Celle-ci récuse les théories de R. Barre, en disant que le blocage du pouvoir d'achat ne peut avoir les effets qu'il en attend. Il ne freinera pas les prix (dit la gauche), parce qu'il entraîne un ralentissement de la consommation qui oblige les entreprises à amortir leurs coûts sur une production trop faible, ce qui élève ces coûts sur chaque unité produite. Il ne créera pas, non plus, des emplois, parce que les profits des entreprises se reconstituent moins vite que prévu ; en outre (ajoute la gauche), ces profits ne sont pas nécessairement utilisés à créer des emplois ; bien souvent, l'industriel achète une nouvelle machine, précisément pour ne pas avoir à embaucher.

Le débat sur l'action conjoncturelle a donc rejoint le débat politique entre la droite et la gauche, qui domine toute la vie de la nation jusqu'aux prochaines élections. À ceux qui lui opposent les faits (hausse persistante des prix et croissance du chômage) pour contester sa politique, R. Barre répond que, justement parce qu'elle s'attaque aux racines du mal, sa politique ne pouvait pas avoir d'effets rapides. « Il me faudrait trois ans », dit-il volontiers à ses interlocuteurs, en se référant aux expériences étrangères.

Mais, pour lui, il ne fait pas de doute que ce sont les coûts qu'il faut maîtriser si l'on veut, durablement, freiner les prix. Il récuse toute « politique de l'indice », c'est-à-dire une action artificielle sur le thermomètre et non pas sur la température de l'eau. Il se défend, d'ailleurs, d'avoir complètement bloqué la consommation des Français, en faisant remarquer que le niveau de vie ne dépend pas seulement des salaires ; il tient aussi à l'évolution des prestations sociales, dont le volume représente plus de la moitié de la masse des salaires. Or, ces prestations ont continué de progresser nettement plus vite que les prix. En outre, les Français ont pu puiser dans leur bas de laine, c'est-à-dire dans leur épargne, pour ne pas renoncer à améliorer leur niveau de vie.

R. Barre doute fort que la gauche puisse durablement mettre sa politique de relance par la consommation en œuvre, si elle arrive au pouvoir ; parce que, selon lui, cette politique se heurterait très vite au mur du déficit extérieur. Celui-ci est, avec la lutte contre l'inflation, l'obsession du Premier ministre. Les deux phénomènes sont d'ailleurs liés. Si les prix français augmentent trop vite, nous ne pouvons pas vendre à l'étranger, et notre déficit extérieur se creuse. Réciproquement, si notre monnaie perd de sa valeur, nos achats à l'extérieur, libellés en monnaies étrangères, sont de plus en plus coûteux.

Franc

Aussi, le deuxième objectif fondamental du plan Barre, à côté de la modération des revenus, est-il la stabilité du franc. Sur ce point, le gouvernement a obtenu des résultats encourageants. Après une chute très nette au premier semestre 1976, le franc s'est stabilisé autour d'une parité de 5 F pour 1 dollar. Il est vrai qu'une certaine faiblesse du dollar a contribué à cette stabilisation. Vis-à-vis du mark allemand, le franc a continué à perdre un peu de sa valeur ; mais cela a concerné toutes les monnaies.

Il était temps que le franc se stabilise, car notre déficit extérieur a atteint, en 1976, un niveau très inquiétant. Pour la seule balance des échanges de biens et services, le déficit a été de 19 milliards de F (après un excédent de 10 milliards en 1975). La sécheresse n'explique pas tout. La France a considérablement accru ses achats de biens de consommation à l'étranger en 1976. Elle a payé sa facture pétrolière beaucoup plus chère, à cause de la dégradation du franc. Si l'on ajoute à ce déficit les autres postes de nos échanges avec l'étranger, le total du déficit de la balance des paiements pour 1976 s'élève à 27 milliards de F.

Endettements

Pour financer un pareil déficit, la France n'a que deux moyens : ou bien puiser dans ses réserves de change (or et devises étrangères), ou bien emprunter à l'étranger. Pour garder nos réserves, nous empruntons. L'endettement extérieur de la France s'élève à quelque 60 milliards de F. C'est encore supportable, car nos réserves d'or nous permettraient de rembourser cette somme qui représente environ deux mois d'exportations. Nous avons même encore une marge d'emprunt à l'extérieur, sans avoir à demander l'autorisation aux organisations internationales (Fonds monétaire, Fonds européen). Il y a longtemps que les Anglais et les Italiens n'en sont plus là. Pour avoir laissé s'effondrer leur monnaie, ils se sont placés sous la tutelle des autorités monétaires internationales, et le budget de l'État ne se décide plus à Londres et à Rome, mais à Washington. La France a encore son autonomie de décision. Toutefois, la marge se réduit, et n'importe quel gouvernement doit, à tout prix, éviter de renouveler le déficit extérieur des années noires, 1974 et 1976.