Pour la fille de Nehru et ses amis, le verdict des urnes est sans appel. Portée par une vague populaire sans précédent, la coalition antigouvernementale enlève la majorité absolue à la Chambre du peuple (Lok Sabha). L'opposition, victorieuse mais hétéroclite, rassemble le parti Janata, lui-même conglomérat de quatre formations (Jan Sangh, Congrès O, parti socialiste et Bharatya Lok Dal), et le Congrès pour la démocratie, créé sept semaines auparavant par Jagjivan Ram, ministre de l'Agriculture démissionnaire et porte-parole au sein du gouvernement de la communauté des intouchables.

Dès le lendemain, Indira Gandhi, tirant la leçon de son échec, remet sa démission à B. D. Jatti, président par intérim de l'Union indienne depuis la mort du chef de l'État, Fakhruddin Ali Ahmed (11 février). L'état d'urgence, en vigueur depuis juin 1975, est aussitôt levé.

Changement radical

Mais, déjà, la lutte pour le pouvoir fait rage. De la compétition qui oppose les deux nouveaux hommes forts du pays, J. Ram et Morarji Desai, le second sort vainqueur. À 81 ans, cet adversaire tenace d'Indira Gandhi, conservateur, traditionaliste, adepte austère de la philosophie du Mahatma, réalise enfin ce rêve si longtemps caressé : présider aux destins de l'Union.

Le nouveau gouvernement, né dans la confusion (26 mars), représente, en fin de compte, du centre gauche à l'extrême droite, toutes les tendances de la coalition. J. Ram retrouve le portefeuille de la Défense, qui fut le sien de 1970 à 1974, occupant ainsi une position clé. Le ministère de l'Intérieur revient à Charan Singh (Bharatya Lok Dal), les Affaires étrangères à Bihari Vajpayee (Jan Sangh), les Finances à un haut fonctionnaire, H.M. Patel, la Santé à Raj Narain, tombeur d'Indira Gandhi en Uttar Pradesh, et les Communications à Georges Fernandes, président du parti socialiste qui, une semaine plus tôt, se morfondait encore en prison. Grâce à ce dosage subtil, les diverses familles de la nouvelle majorité se neutralisent. En quelques jours, le paysage politique à New Delhi s'est radicalement modifié.

Le 1er mai, le Janata et le Congrès pour la démocratie décident de fusionner. Ils forment désormais, sous le nom de Janata, une seule « entité politique », dont le président est un socialiste modéré, Chandra Shekar. La veille, le gouvernement avait dissous les assemblées législatives des 10 États de l'Union (sur 22) encore aux mains du Congrès. Ces États devaient être administrés directement par le pouvoir central, jusqu'à la tenue de nouvelles élections locales, décision qualifiée d'« acte dictatorial » par le parti d'Indira Gandhi.

Le Parti du peuple remporte les élections provinciales, qui se sont déroulées du 8 au 13 juin, dans huit des dix États. C'est une coalition de gauche conduite par le Parti communiste qui triomphe au Bengale-Occidental. Le gouvernement de Calcutta (capitale de cet État de 45 millions d'habitants) sera dirigé par le communiste indépendant Juoti Basu, un juriste de 63 ans.

Volte-face

Comment en est-on arrivé là ? Le premier coup de théâtre remonte au 18 janvier 1977, lorsque Indira Gandhi, revenant sur sa décision antérieure de reporter les élections générales d'un an (29 octobre 1976), annonce que le scrutin aura lieu en mars. L'amélioration de la situation économique, l'affaiblissement apparent d'une opposition durement réprimée, le souci d'améliorer l'image de marque du régime, gravement ternie depuis la proclamation de l'état d'urgence, sont autant de facteurs qui expliquent cette volte-face. Confiant dans la toute-puissance du Congrès, le Premier ministre lève la censure et libère les principaux détenus politiques, ses futurs adversaires. Très vite, ceux-ci, auréolés par leur séjour en prison, se ressaisissent et passent à l'offensive, aux cris de « Indira Hatao ! » (« Indira dehors ! »). Dans ce climat de liberté politique retrouvée, ils dénoncent les erreurs gouvernementales commises pendant les dix-huit mois de régime d'exception. Pour Indira Gandhi, la défection de J. Ram en pleine campagne électorale (2 février) est un coup dur autant qu'inattendu. Elle correspond, en fait, à une véritable scission du Congrès. Parallèlement, le parti communiste prosoviétique passe du « soutien critique » à l'opposition à peine voilée, en dénonçant la répression des « forces démocratiques ». Isolée, critiquée de toutes parts, prisonnière de son propre scénario, Indira Gandhi ne peut éviter la déroute.

L'homme à abattre

Les causes de cette défaite sont multiples. Les mesures vexatoires prises à la faveur de l'état d'urgence, notamment en matière de contrôle des naissances (stérilisation forcée, campagne d'intimidation), ont profondément heurté les sentiments religieux d'une population mal préparée à accepter des méthodes aussi radicales que maladroites.