Le nouveau président du parti se fait aussi plébisciter par les masses. De gigantesques manifestations sont organisées à Pékin, à Changhai et dans toutes les grandes villes. Parallèlement se poursuit l'instruction publique du procès de Chiang Ching et de ses compagnons. Chaque jour, la presse développe un nouveau thème d'accusation : complot, tentative d'assassinat contre Mao, contre Hua ; usurpation du pouvoir, sabotage de la production. Tout est passé au crible, tout est preuve de culpabilité. La violence verbale, la cruauté des caricatures qui fleurissent sur les murs, la hargne des slogans (« Écrasez la vermine ») rappellent les campagnes les plus noires de la Révolution culturelle.

Malaise

Manifestement, cependant, la crise n'est pas entièrement réglée. Les organes du parti et de l'État restent singulièrement mutilés par les épurations et les disparitions, sans qu'aucune nomination significative vienne combler les vides. Hua Kuo-feng continue à cumuler des fonctions (celle de président du parti et celle de chef du gouvernement) difficilement conciliables, étant donné leur lourdeur. Deux affaires sont en tout cas symptomatiques d'un malaise latent :
– la fausse nomination de Li Hsien-nien : le 1er novembre, des affiches placardées à Changhai annoncent la formation d'un nouveau gouvernement présidé par Li Hsien-nien. vieux compagnon de Chou En-lai, et comprenant comme ministre de la Défense Chen Hsi-lien, le maréchal Yeh Chien-ying devenant président de l'Assemblée du peuple. Nominations logiques dans la mesure où ces trois hommes incarnent, par leur passé et leur tendance modérée, la continuité et l'ordre. Pourtant, ces informations sont démenties, le lendemain, à Pékin, et le statu quo se prolonge.
Les seules nominations qui interviennent dans l'hiver sont celle de Huang Hua comme ministre des Affaires étrangères, en remplacement de Chiao Kuan-hua, trop proche de Chiang Ching, et celle de Lin Hsi-yao comme ministre de la Culture, un poste dévolu auparavant aux radicaux ;
– le faux retour de Teng Hsiao-ping : l'élimination des radicaux (ses adversaires les plus redoutables) semble ouvrir la voie à un retour de l'ancien secrétaire général du parti, deux fois en disgrâce mais toujours puissant et présent en coulisse. D'autant plus que la tendance modérée qu'il incarne semble de plus en plus imposer ses vues. On dit d'ailleurs Teng sorti de sa retraite forcée, revenu à Pékin ou à Canton, où il serait l'hôte de son vieil ami Hsu Shih-yu, commandant militaire de la région de Kouan-tong.

Une campagne en faveur de sa réhabilitation se développe en janvier, à la faveur du premier anniversaire de la mort de Chou En-lai, son protecteur. Les manifestations prennent de l'ampleur et semblent devenir un défi pour le pouvoir. Mais Hua (comment ?) parvient à rétablir le calme. Une décision, dit-on, sera prise pour le 1er mai. Mais, à cette date, on laisse entendre que tout est remis à l'automne. Paralysie du pouvoir ou volonté de barrer la route à un rival toujours dangereux ?

Retour à l'ordre

Sur le fond, le gouvernement de Hua semble de plus en plus obéir à la ligne modérée, avec ses deux priorités : développement économique et retour à l'ordre. Dans les deux cas, cependant, les difficultés sont flagrantes. La sécheresse qui règne dans les provinces les plus riches sur le plan agricole compromet gravement les récoltes. La production industrielle, perturbée par la catastrophe de Tang-Chan et sans doute aussi par les remous politiques, se ralentit. Seuls les échanges extérieurs, notamment avec le Japon, reprennent un essor rapide.

Quant à la situation interne, difficile à appréhender dans ce pays du secret, elle paraît plus troublée qu'elle ne l'a été depuis la Révolution culturelle. Des incidents sont signalés dans la plupart des provinces, même les plus lointaines comme le Sin-kiang ou l'Hei-long-kiang. Des faits curieux, tout à fait inhabituels en Chine, sont rapportés par les journaux : cambriolages de banques, attentats contre des trains. La ville de Paoting est, de l'aveu officiel, le théâtre de troubles sanglants pendant plusieurs mois. Tous ces faits sont, selon la presse officielle, imputables aux activités « contre-révolutionnaires » de la bande des Quatre et de ses partisans. La répression est d'ailleurs sans pitié : épurations, procès populaires, exécutions capitales se multiplient.