Il devient de plus en plus évidente pour les fédéralistes, en décembre, que la nouvelle administration du Québec maintient l'objectif de l'indépendance et gouverne comme si elle était acquise. Le 6, alors que se tient la conférence des ministres canadiens des Finances, dans la capitale fédérale, à laquelle participe celui du Québec, Jacques Parizeau, le chef du gouvernement péquiste met en garde le Canada contre l'illusion de croire que rien n'a changé depuis la mi-novembre. « Nous allons leur montrer que nous sommes prêts à jouer le jeu aussi longtemps que nos besoins seront respectés, mais en leur rappelant toujours que l'idée de la souveraineté est notre but ultime. »

Puis, les 13 et 14, après l'impasse d'une autre conférence, celle des Premiers ministres, qui ont marchandé l'assiette fiscale comme chez un regrattier, René Lévesque déclare que sa province a été « roulée » de 100 millions de dollars, une autre preuve, selon lui, que le fédéralisme est un handicap. P. E. Trudeau répond aussitôt : « Je ne serai jamais assez flexible pour lui. Il veut retirer le Québec de la confédération. »

Américains

Au début de l'année 1977, le débat entre P. E. Trudeau et René Lévesque, porté à l'extérieur du Canada, prend une tout autre tournure. Le premier louvoie maintenant entre la rigidité et l'ouverture d'esprit, tandis que le second précise sa volonté de faire du Québec un État souverain tout en sauvegardant l'association économique avec les autres provinces.

Le 25 janvier, un mois et demi après s'être assuré de la bienveillance de la France auprès du ministre du Commerce extérieur français, André Rossi, en visite à Ottawa et à Québec, le Premier ministre René Lévesque se rend à New York pour promouvoir l'indépendance auprès des Américains. À la tribune du prestigieux Economic Club, qui réunit 1 500 financiers, il certifie que la souveraineté du Québec est normale et inévitable et qu'elle se fera dans le cadre d'une autre « révolution tranquille », sans modification des règles économiques. Il insiste, sur un ton ferme et serein, pour que les entreprises étrangères respectent la spécificité québécoise.

Si ses propos rassurent les Américains, sans toutefois les convaincre, ils troublent en revanche les Canadiens, qui lui reprochent de parler de l'indépendance comme si cela allait de soi. C'est l'occasion pour P. E. Trudeau de réaffirmer bien haut qu'elle ne se fera pas, puisqu'elle n'est pas nécessaire. Abandonnant sa mauvaise humeur, il se félicite, tout à coup, du choix politique des Québécois et accepte, le 28 janvier, la révision constitutionnelle. Tout en se disant prêt à relever le défi, il réclame la tenue du référendum pour annihiler l'incertitude. Néanmoins, il changera par deux fois d'attitude, en mars et en avril, et exigera que le Québec se « branche ».

Les États-Unis craignent tout mouvement politique qui pourrait mettre en cause la stabilité de l'hémisphère Nord. Ils considèrent le Canada, sur lequel ils exercent une influence économique et politique, comme un allié constant et un voisin engagé à porter sa part de la défense militaire commune de la partie septentrionale du continent. Ils voient donc d'un mauvais œil toute atteinte à l'entité canadienne qui pourrait mettre en péril la sécurité du Canada et la leur. Ils redoutent d'autant la séparation d'un Québec neutraliste qu'ils saisissent mal ses aspirations légitimes, car rien, selon eux, n'est supérieur aux institutions de type confédéral.

Sans une certaine compréhension des États-Unis, l'indépendance du Québec est quasi impensable. Le sachant, le Premier ministre P. E. Trudeau se sert de cet atout contre les prétentions québécoises. Le 10 février, onze jours avant un voyage à Washington, où il doit rencontrer le président Carter et prononcer un important discours devant le Congrès, il laisse planer la possibilité d'une intervention des Américains dans le débat, ces derniers entretenant, à son avis, de fortes inquiétudes sur l'avenir du Canada. Les observateurs comprennent que la question québécoise occupera la plus grande partie de ses conversations avec les dirigeants des États-Unis et composera l'essentiel de son message au Congrès.