Les bénéfices que tire Israël de l'accord sont multiples, et, pour la plupart, d'une importance politique certaine : l'Égypte renonce au recours à la force pour atteindre un règlement de paix juste et définitif.

La durée de cet engagement n'est pas précisée, ce qui revient à instaurer de facto un état de non-belligérance ; Israël ne serait soumis à aucun blocus (référence sans doute aux détroits de Bab el-Mandeb et d'Akaba), tandis que les cargaisons non militaires de l'État juif sont autorisées à emprunter le canal de Suez dans les deux sens ; les deux partis n'auront pas recours à la menace et s'abstiendront de toute propagande belliqueuse ou hostile à la partie adverse ; une forme de coopération s'établit, enfin, entre les deux pays par la mise en application des diverses clauses de l'accord.

Bref, l'Égypte se retire du camp de la confrontation avec Israël et contribue ainsi à paralyser ceux parmi les États arabes qui auraient souhaité poursuivre et intensifier les pressions militaires sur l'État juif. En déclarant, le 29 février, que l'Égypte ne participerait pas à une guerre contre Israël si celle-ci devait être déclenchée par la Syrie, le président Sadate confirme la portée politique de l'accord du Sinaï, donne aussi la mesure du fossé qui se creuse entre Le Caire et certaines capitales arabes. Seules, trois d'entre elles approuvent publiquement l'entente israélo-égyptienne du 1er septembre.

Le discrédit du successeur de Nasser dans une bonne partie du monde arabe (comme l'attestent de virulentes campagnes de presse) est largement compensé par le prestige qu'il acquiert dans son propre pays. À la fierté ressentie d'avoir récupéré une partie du territoire national viennent s'ajouter la conviction que l'accord du Sinaï constitue un pas décisif vers la paix et la prospérité, l'espoir que l'état de non-belligérance favorise l'afflux de capitaux étrangers, de fonds américains en particulier. À court terme, l'opinion se réjouit déjà de ce que les revenus pétroliers des gisements d'Abou Rodeiss et ceux du canal de Suez rapporteront à la trésorerie plus de 700 millions de dollars par an.

Cote d'alerte

Les responsables, pour leur part, savent bien que ce pécule est insignifiant par rapport aux besoins financiers de l'État. Les déficits de la balance des paiements et du budget sont considérables. Curieusement, les crédits militaires en 1975 sont supérieurs à ceux de 1974 : 6 milliards de dollars (contre 4 milliards), soit 42 % de l'ensemble des dépenses de l'État. La somme représente un débours de 163 dollars par tête d'habitant et constitue un fardeau considérable pour les Égyptiens dont le revenu moyen, annuel, est de moitié moins élevé. Les dons, les emprunts obtenus de l'étranger servent, dans leur quasi-totalité, non pas au développement économique, mais à l'acquisition d'armements, à l'importation de denrées de première nécessité, à régler les intérêts de prêts obtenus antérieurement.

Les dettes extérieures ont atteint une ampleur alarmante : plus de 14 milliards de dollars, dont la moitié a été contractée pour l'achat de matériel de guerre. Le président Sadate ne lésine pas sur les dépenses militaires, afin, entre autres, de ne pas s'aliéner une armée qui garantit la stabilité de son régime.

Les responsables admettent volontiers que, d'une manière plus générale, la situation économique est critique et que le malaise social s'étend dangereusement. L'ouverture économique ne bénéficie qu'à une minorité, à une nouvelle bourgeoisie qui s'enrichit par des pratiques spéculatives, sans pour autant investir dans des projets d'utilité publique.

La production stagne ; le secteur public, qui fournit les 70 % du PNB, est largement déficitaire. Les prix grimpent à un rythme vertigineux : le taux d'inflation, de 30 % en 1975 selon les officiels, est vraisemblablement plus élevé ; des économistes étrangers estiment qu'il sera de l'ordre de 40 à 50 % en 1976.

L'ouverture économique, conçue pour attirer les capitaux étrangers, n'engendre toujours pas les résultats escomptés. Une vingtaine de banques internationales ont ouvert des succursales au Caire et les hommes d'affaires du monde entier ne cessent d'affluer pour étudier les possibilités d'investissement. Cependant, malgré les garanties et les conditions attrayantes qui leur sont offertes, nombre de potentiels bailleurs de fonds sont sceptiques ou méfiants. L'instauration d'une paix de facto entre Israël et l'Égypte constitue, certes, un facteur rassurant.