Sept ans plus tôt, en janvier 1969, Thérèse Adam était morte dans des circonstances presque analogues. C'était la première d'une tragique liste de huit victimes, toutes de condition modeste, n'ayant entre elles aucun lien. La dernière est la plus jeune : 20 ans ; la plus âgée en avait 49. Seul trait commun : toutes sont brunes.

Le sentiment d'insécurité ressenti par la population est devenu une véritable angoisse collective. Au point que le maire a tenté (vainement d'ailleurs) d'obtenir qu'un film retraçant l'histoire de l'étrangleur de Boston ne soit pas programmé à la télévision.

À Nogent-sur-Oise le suspense continue : les marchands de verrous font des affaires ainsi que les coiffeurs..., dont la plupart des clientes brunes sont devenues des fidèles de la décoloration.

Les sectes ou le mal de vivre

Elle se nomme Marie-Christine Amadeo ; elle a 22 ans et elle est éducatrice dans une maison d'enfants inadaptés à Écully (Rhône). Soudain, en janvier 1976, elle devient la vedette d'un curieux fait divers : ses parents forment avec quelques-uns de leurs amis un véritable commando pour l'enlever et la ramener de force chez eux. Ils assurent, en effet, qu'elle a été l'objet d'une sorte de lavage de cerveau et ne jouit plus de toute sa liberté d'esprit depuis qu'elle a rencontré la secte Moon.

La jeune fille, majeure, quitte dès qu'elle le peut la maison de ses parents pour retourner dans un établissement de la secte, à Saint-Germain-Mont-d'Or, aux environs de Lyon. Mais les images de l'enlèvement, diffusées par la télévision, ont impressionné l'opinion. Tout comme la plainte contre X déposée à la même époque par les parents d'un jeune Périgourdin qui a également rejoint la secte de Moon. Celle-ci devient l'objet d'un feu convergent de critiques de toutes origines, voire de manifestations hostiles, et même d'un attentat à la bombe perpétré contre une de ses maisons à Paris.

10 millions de dollars

L'association pour l'unification du christianisme mondial (c'est le nom que porte cette secte en France) a été créée par le Coréen Sun Myong Moon, un ancien pasteur presbytérien qui affirme compter dans le monde près de deux millions de fidèles, dont la Corée du Sud fournit le plus large contingent. Il dit vouloir poursuivre l'œuvre inachevée de Jésus-Christ, et impose à ses adhérents un style de vie plutôt ascétique : repas frugaux, travail intensif, interdiction de tous rapports sexuels (et même du mariage sans l'autorisation de Moon lui-même). Son message est également politique : il parait être animé par un anticommunisme virulent, et si ses militants français n'interviennent guère dans les luttes partisanes, ceux d'Amérique ont mené de vives campagnes pour la défense de Nixon lors de l'affaire du Watergate.

Mais ce qui surprend le plus, ce sont les moyens matériels dont dispose l'Église du révérend Moon. En trois ans, aux États-Unis, elle a réussi à acheter pour plus de 10 millions de dollars de biens fonciers ou immobiliers, la plupart dans l'État de New York. Elle gère plusieurs entreprises industrielles. En France même, elle a acquis ou loué plusieurs châteaux ou résidences alors que son activité est encore réduite : de l'aveu même de son responsable, Henri Blanchard, ancien séminariste, elle ne compte guère, au début de 1976, que 800 membres.

C'est bien peu au regard des 50 000 témoins de Jéhovah, ou même des 7 000 adventistes du 7e jour. Mais c'est beaucoup plus que les adeptes du mouvement Hare Krishna que l'on voit parfois psalmodier et danser, crâne rasé, dans les rues de Paris. Plus aussi que Les enfants de Dieu (filiale européenne du mouvement Jesus People qui a recueilli quelques drogués, mais dont un ancien membre, Michel Piersotte, semble avoir été victime, en Belgique, en février 1976, d'un meurtre rituel) : ceux-là ne sont que 250. Et surtout, bien plus que leur nombre, c'est le dynamisme des sectateurs de Moon, la virulence de leur prosélytisme qui attirent l'attention sur le foisonnement des sectes nouvelles et amènent à s'interroger sur les raisons de leur succès.

Réactions

Il y a là, sans doute, l'expression d'un besoin de religieux et de sacré, allant de pair avec le refus d'un monde trop rationnel, besoin de sacré que les Églises traditionnelles ne paraissent plus capables de satisfaire. Le Père Chery, responsable du Centre de documentation sur les Églises et les sectes, constate : « Que de justes doléances on entend sur le morne déroulement de nos offices, sur le vide religieux d'une prédication réduite à un verbiage politico-moral ! Dieu est mort sur les lèvres de ceux qui devraient l'annoncer dans la joie. » À l'intérieur même des Églises catholique et protestante, le développement même du mouvement charismatique, fondé sur la prière au Saint-Esprit et créateur de communautés chaleureuses, paraît être une première réaction contre cette situation. Peut-être avait-on rapidement oublié que l'homme est un animal religieux au même titre qu'il est un animal raisonnable et vivant en société. L'être « sans temples, sans autels, sans rites », comme le disait le vicaire savoyard de Jean-Jacques Rousseau, n'est peut-être plus l'homme, mais une froide et mince abstraction. C'est, du moins, ce que suggèrent la plupart des commentaires suscités par le développement des sectes.

Malade de solitude

D'autres soulignent que leur foisonnement exprime un besoin de communauté et de relations. Les jeunes qu'elles attirent sont souvent des garçons ou des filles malades de solitude, perdus dans l'anonymat des grandes cités : ce qu'ils recherchent, c'est un groupe où ils puissent parler et être écoutés, où ils puissent se dévouer avec d'autres à une cause qui donne un sens à leur vie.