À la mi-mars, les grèves atteignent la moitié des universités : seules celles de la région parisienne ne sont touchées que peu de jours avant les vacances de Pâques. Sauf à la fin de mars, les défilés dans les rues sont peu importants ; les incidents sont plutôt rares, malgré une nervosité qui croît avec le temps. Largement suivies en général, les grèves se déroulent dans un climat d'inquiétude plutôt que d'enthousiasme. Les partis politiques de gauche ou même des syndicats d'enseignants pourtant opposés à la réforme accordent un soutien tardif et souvent limité aux initiatives des mouvements d'étudiants.

Une femme à la tête des universités

Pour la première fois, le secrétaire d'État aux universités est une femme, Alice Saunier-Seïté, nommée lors du réaménagement technique du gouvernement le 12 janvier 1976. Ce n'est pas une politique : comme son collègue René Haby, elle occupait jusque-là un poste de recteur. C'est une universitaire qui a gravi tous les degrés de la carrière : chercheur au CNRS, professeur, puis doyen à la faculté des lettres de Brest, directeur d'un institut universitaire de technologie à Sceaux, dans la banlieue parisienne, avant d'être nommée à la tête de l'académie de Reims. Elle a de l'allure, du charme, de l'énergie aussi : dès sa jeunesse, elle a voulu être indépendante et elle a travaillé pour continuer ses études. Cela n'exclut pas un certain sens de la diplomatie, qui lui a permis, en mai 1968 et après, de garder de bonnes relations avec ses étudiants et avec les différents clans du corps enseignant. Mais elle ne craint pas l'impopularité. Dès son arrivée au secrétariat d'État, elle prend deux décisions risquées :
– signer la réforme du second cycle universitaire préparée par son prédécesseur, et vivement combattue par les syndicats d'enseignants et la plupart des associations d'étudiants ;
– scinder en deux l'université de Clermont-Ferrand, ce qui soulève les protestations de beaucoup d'universitaires et de la gauche locale.

Craintes

Sélection, spécialisation, déqualification : les étudiants redoutent les conséquences de la réforme et les effets de la crise économique. Ils craignent, notamment les plus jeunes (la réforme ne s'appliquera vraiment qu'à partir de la rentrée 1977), de se voir interdire la poursuite d'études, ou de se voir enfermés dans une filière sans issue, et en tout cas de ne pas trouver d'emploi à la sortie ou pas d'emploi correspondant à leur niveau de culture, sinon de qualification. Ces inquiétudes sont partagées avec une certaine compréhension par la presse et l'opinion. L'enseignement et la fonction publique, qui ont accueilli jusque-là la majorité des diplômés, sont saturés. La réforme en tire les conséquences en invitant les universités à rapprocher les formations des débouches. Elle aurait dû être bien accueillie par les étudiants, mais elle vient trop tard (elle a d'ailleurs traîné depuis 1971).

En 1975-76, non seulement les diplômés ont du mal à trouver un emploi conforme à leurs espoirs, mais la crise rend l'avenir incertain. Les experts se demandent de combien de cadres, et de quelle formation, on aura besoin dans les prochaines années. Les étudiants redoutent que l'on ne crée que des filières très spécialisées, donc réservées à un petit nombre d'étudiants, les autres n'ayant le choix qu'entre le départ ou des études dévalorisées. D'autant que le secrétariat d'État, voulant éviter l'éparpillement des formations, fait de la licence (à la fin de la troisième année d'études) un diplôme terminal.

Les universitaires, de leur côté, renâclent devant la transformation difficile — surtout pour les littéraires — qu'on leur propose : elle consiste à substituer des formations combinant plusieurs matières à des études correspondant aux disciplines de l'enseignement supérieur. L'invitation de l'Administration à supprimer les filières sans débouchés professionnels et l'absence de crédits supplémentaires leur font craindre que le redéploiement demandé n'aboutisse à la disparition des études menant à la recherche, auxquelles ils tiennent. Déjà, faute de moyens, certaines universités ont renoncé, à la rentrée 1975, à mettre en place les nouveaux troisièmes cycles qu'elles avaient été autorisées à organiser. Le SNESup et les partis de gauche dénoncent une politique de pénurie et de crise. Le SGEN n'est pas moins acerbe.