Après trois ans d'absence. Jean Ferrat, nouveau disque en bandoulière, vient dire un petit bonjour à Paris, depuis son Ardèche-repos. Il n'y est pas très bien reçu par tout le monde. Le rédacteur en chef du Figaro, entre autres, ne lui retourne pas la politesse, et fait même interdire une de ses chansons à la télévision. Il s'agit, bien sûr, de Un air de liberté, où Jean d'Ormesson est nommément pris à partie, ainsi que la politique de son journal. Mais Ferrat ne ménage ni les républicains indépendants (Un jeune), ni Hachette ni Dassault (Berceuse), ni la télévision elle-même (Le fantôme).

En novembre, au Palais des Congrès, Léo Ferré s'offre enfin un plaisir qui n'a rien perdu de sa vigueur pour avoir attendu quelque peu : diriger un orchestre de 150 musiciens et choristes, mêler, dans un amour non catégoriel, la musique classique et ses propres oeuvres. Il dirige l'ouverture de Coriolan et le Concerto pour la main gauche. Il chante. Il est heureux. Es muss sein. Le public, venu nombreux l'encourager, l'est aussi. Certains musiciens sont plus modérés dans leurs appréciations. Puis Ferré retourne en Italie, où l'attendent ses amours, le soleil, la tranquillité et son fils.

Québec

De Ferré à Leclerc, il n'y a pas si loin : ce sont tous les deux des monuments de la chanson, leur consécration ne date pas d'hier, et ils se trouvaient ensemble à Paris. Leclerc, plus vert que jamais, a fait une belle tournée en France. Il s'est installé pour un mois, en décembre, au théâtre de la Gaîté-Montparnasse, où ça a si bien marché qu'il a fallu prolonger de près de trois semaines... Leclerc, c'est Le p'tit bonheur (pour ceux qui veulent remonter loin), c'est L'île d'Orléans (son dernier disque) et, naturellement, c'est le Québec.

Or, le Québec, lui, est un des événements essentiels de cette année. D'abord au niveau de la distribution, sur le marché français, d'un nombre important et inhabituel de productions québécoises, mais aussi (et ceci explique peut-être en partie cela) par l'effort financier particulier que le ministère de la Culture, au Québec, a décidé de fournir en faveur de la chanson. On connaissait Leclerc, Vigneault, Charlebois, sûrement Pauline Julien, Louise Forestier, Jean-Pierre Ferland et Diane Dufresne, voici que le disque ou (et) la scène nous révèlent Beau Dommage (Complainte du phoque en Alaska), Raoul Duguay (La bitt à Tibi), Gilles Valiquette, les Seguin, François Guy, André Gagnon, Jean Carignan, Harmonium, Claude Dubois, etc.

Les Québécois arrivent à point (et principalement toute l'école qui s'est formée derrière Charlebois) avec un matériel qui est à l'image de leur culture : à la frontière du monde culturel latino-européen, de type littéraire, et du monde culturel américain, de type encore dominé historiquement par le jazz noir et les rythmes d'ascendance africaine, et par les musiques populaires (country, western) introduites par les pionniers de la fin du XVIIe siècle (d'origine irlandaise ou écossaise).

La langue québécoise, transfuge populaire des moules culturels rigides, reste branchée sur le quotidien, le naturel, sur la verdeur de son origine régionale. Le fait que les textes québécois soient simples n'exclut nullement leur densité émotionnelle ou poétique.

La musique des compositeurs québécois, toujours vivante dans les fêtes et veillées populaires, n'a rien perdu de sa santé en mariant l'apport celtique à l'apport américain : pop et reels font ensemble excellent ménage.

La chanson québécoise, avec ce goût associatif pour des paroles simples et des musiques vivantes, trouve donc chez nous un terrain éminemment favorable : elle répond à un besoin de chanson entière que ne permettent pas de satisfaire pleinement nos habitudes et nos structures de cloisonnement. Entière : c'est-à-dire à la fois vraie et solide.

Culture

Cette puissance de la chanson, qu'elle intéresse le public ou le peuple, n'échappe plus aux gouvernements. Certains cherchent à permettre son épanouissement dans les meilleures conditions possible, d'autres cherchent à diriger son impact vers des objectifs précis.