On les a vus dans les arènes millénaires d'Orange, tandis que celles d'Arles s'ouvraient aux sonorités étranges des synthétiseurs des groupes allemands. Plus de 20 000 personnes se disputaient les places sous le soleil ardent de l'été 1975. On parle maintenant de rendre ces manifestations annuelles. Dans un quart de siècle, seront-elles devenues aussi traditionnelles que les manifestations de Bayreuth ou de Spolète ?

Auditoriums

Le public de plus en plus nombreux exige des salles à sa mesure. Et la France, sur ce plan, est mal lotie. Il n'existe pas de ces véritables auditoriums conçus pour écouter la musique. La plupart du temps, il faut se contenter d'inconfortables ersatz où, pendant plusieurs heures, on reste debout. Il faut parfois ajouter à ces conditions la présence d'un service d'ordre peu bienveillant. La plupart des grands concerts de cette année se sont déroulés dans des endroits sinistres, en particulier aux anciens abattoirs de la porte de Pantin. Pour un prix d'entrée souvent élevé compte tenu de la structure d'accueil, 10 000 à 20 000 spectateurs ont pu admirer successivement Neil Young (mars), Paul McCartney (mars), David Bowie (mai), les Rolling Stones (juin). Beaucoup de grands noms, mais aussi des gens moins connus qui, chose étonnante, attirent presque autant de monde.

Le public, en effet, s'est considérablement élargi en quelques années. Le petit noyau des rockers s'est développé pour atteindre des couches sociales beaucoup moins marginales. On commence par acheter le dernier Pink Floyd, puis, un soir, on va au concert (à Pleyel, par exemple) pour écouter un Allemand comme Klaus Schulze (avril). Et on se retrouve bientôt perdu dans la foule des abattoirs de Pantin pour essayer d'apercevoir Mick Jagger et les Rolling Stones. Le jeune cadre dynamique côtoie le lycéen et le jeune ouvrier. Pop music synonyme de rapprochement social ? Ce serait trop beau : le concert fini, chacun s'en retourne chez soi.

Tentatives

Les media dans leur ensemble ont suivi la vague pop. Les quotidiens les plus sérieux ont fait appel à des spécialistes pour tenir leurs lecteurs au courant. Mais les radios et les chaînes de télévision accusent souvent un retard considérable sur ce chapitre. Les variétés faciles occupent la place transformée en bastion. On enregistre pourtant des tentatives contre la médiocrité installée ; des stations ont fait de louables efforts pour développer la pop music, efforts cependant limités par les actions de quelques auditeurs passéistes. C'est ainsi que France-Musique, par exemple, a dû affronter bien des vertueuses colères de mélomanes pour imposer une transformation rendue nécessaire par l'évolution des goûts et des tendances. On peut enfin écouter sur les ondes nationales aussi bien de la musique classique que du jazz ou de la pop.

Le public commence à beaucoup élargir le champ de ses investigations et se retrouve aussi bien dans les concerts de jazz (Chick Corea à Paris, en mars), de rock (Frank Zappa, en mars) que de musique contemporaine (Philip Glass à l'ex-ORTF, en octobre). Et c'est encore ce même public qui écoute les musiques traditionnelles de l'Orient (Tibétains au festival d'automne à Paris ; Gamelan de Bali à l'ex-ORTF, en mai) ou de la Louisiane (tournée des frères Balfa). Ce n'est plus la pop (revendiquée comme véhicule culturel marginalisant), mais bien un désir de s'ouvrir à toutes les sonorités, à toutes les influences. Cette attitude se fait aussi sentir chez les musiciens eux-mêmes : les tendances universalistes se traduisent par l'adoption d'instruments exotiques et par une approche différente des canons occidentaux. Les structures modales propres aux ragas de l'Orient sont fréquemment employées par les groupes de pop music ou de jazz — si toutefois ces étiquettes signifient encore quelque chose.

On parle couramment de jazz-rock, de rock symphonique, voire de musique pop progressive. L'amateur en quête de labels précis n'y trouve plus son compte. Ne voit-on pas certains compositeurs de musique contemporaine bien connus se livrer au petit jeu de l'emprunt, puis de l'assimilation. Pierre Henry, en France, William Russo, en Amérique, ont su intégrer un certain langage pop à leurs œuvres. Les cours de Stockhausen, en Allemagne, ou de Luciano Berio, en Californie, ont été, en échange, fréquentés par quelques musiciens pop très connus.