Quelques mois plus tôt, Rolf Liebermann avait été, lui, plus équitable, en proposant de fonder une coopérative de production où l'ensemble des artistes et techniciens aurait partie prenante d'un tiers du capital, et donc des bénéfices. La démonstration, faite devant les journalistes le 31 mai et confirmée le 25 juin pour la première d'Othello devant le public, d'une transmission d'opéra en direct par eidophore (téléprojecteur en couleurs) et sur grand écran de 108 m2 a bien prouvé qu'il existe aujourd'hui des moyens d'assurer la rentabilité du théâtre lyrique.

Mais toutes ces conditions, qui seront déjà si difficiles à réunir, suffiront-elles à faire de l'Opéra de Paris, comme tout le monde le souhaite, à l'heure où le théâtre chanté de grand répertoire connaît une vogue sans précédent, « une institution nationale de l'art lyrique et chorégraphique à la disposition de l'ensemble du public français » ? On peut en douter quand on sait que, si tout va bien, Rolf Liebermann aura quand même à trouver plus de 3 millions de F supplémentaires pour boucler son année, que la modernisation de l'équipement du Palais Garnier se fait urgente, que la construction d'une vraie salle de répétition est absolument nécessaire et que les prix des places, déjà prohibitifs, sont encore susceptibles de grimper dans les mois prochains.

Boulez

L'événement avait beau être attendu, il n'en a pas moins été surprenant : le 5 janvier, au palais des Congrès. Pierre Boulez a dirigé l'Orchestre de Paris. Or, il y a juste dix ans que le fondateur de la nouvelle musique disait « non à Malraux » et décidait de ne plus collaborer « avec tout ce qui, de près ou de loin, dépend de l'organisation officielle de la musique en France ».

Mais les temps ont changé, et Boulez, maintenant, peut dire oui à Michel Guy : Marcel Landowski s'en est allé, son successeur à la Direction de la musique, Jean Maheu, lui offre une nouvelle phalange de prestige (l'ensemble intercontemporain) ; l'Opéra l'attend au pupitre les saisons prochaines ; le Collège de France lui ouvre toutes grandes ses portes ; et, surtout, le Centre Georges-Pompidou creuse pour lui, au plateau Beaubourg, un vaste et coûteux satellite souterrain, l'IRCAM (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique), raison principale du retour de l'enfant prodigue.

Cette année aura marqué le coup d'envoi d'une rentrée sur tous les fronts. Si l'on ajoute encore la parution de deux livres (Par volonté et par hasard, entretiens avec Célestin Deliège, et la Musique en projet, en collaboration avec l'équipe de l'IRCAM), la sortie chaque mois de plusieurs disques nouveaux, réalisés soit avec le New York Philharmonic (dont il reste directeur musical jusqu'en 1977), soit avec le BBC Symphony (dont il est l'invité privilégié), Boulez sera désormais le véritable moteur d'un élan nouveau de la musique en France.

Pourtant, sa conférence de presse du 2 juin, annonçant les programmes d'un grand cycle inaugural de concerts la saison prochaine à Paris, n'a pas manqué de décevoir tous ceux qui attendaient de l'ex-enfant terrible de la musique contemporaine autre chose qu'une consécration solennelle des classiques du XXe siècle.

La plupart des chefs de file de l'avant-garde prolongée entrent aujourd'hui en respectabilité officielle et ne craignent pas de fréquenter des musiciens qu'ils avaient tenus longtemps pour infréquentables. Pendant sa saison au New York Philharmonie, Pierre Boulez a étendu son répertoire du côté de Liszt, Borodine, Kodaly, Haendel, Nielsen, Dukas, Roussel et Saint-Saëns, pour ne citer que les auteurs les plus inattendus. Dans le même temps, Gilbert Amy, qui a pris la direction du nouvel orchestre philharmonique de Radio-France, dit à géométrie variable, s'est mis à conduire Haydn, Mozart, Beethoven, Mahler, Sibelius et Prokofiev, entre autres. Luciano Berio, qui est devenu directeur artistique de l'Academia Filarmonica de Rome et de l'Orchestre de chambre d'Israël, a dirigé Purcell, Bach, Boccherini, Beethoven, Rossini et Milhaud.