Humilié par ce qu'il estime une manœuvre politique, Giscard d'Estaing charge son Premier ministre de mettre de l'ordre dans les comptes et dans le fonctionnement de la première scène de France. Peu après, dans une lettre-ultimatum envoyée à Michel Guy, Jacques Chirac pose ses conditions : « J'appelle votre attention sur le fait que si les conditions n'étaient pas remplies (présentation d'un devis chiffré de la production jusqu'en 1980 et, surtout, aménagement des conventions collectives avec le personnel, tout cela d'ici au 1er juillet 1976), le gouvernement se verrait dans l'obligation de supprimer totalement et définitivement son concours financier à la Réunion des théâtres lyriques nationaux (RTLN). Dans cette hypothèse, la liquidation de l'établissement devrait intervenir sans délai. »

En dénonçant la disproportion entre l'aide publique et « l'audience socialement limitée » de l'Opéra de Paris, le Premier ministre attaque les syndicats sur leur propre terrain, celui de la démocratisation de la culture, en même temps qu'il exploite la rancœur des autres organismes moins richement dotés.

En réclamant « un programme convenablement chiffré », en assignant aux subventions un plafond de 108,3 millions à partir de 1977, il veut éviter une augmentation budgétaire consécutive au rétablissement artistique et au succès toujours plus grand de l'entreprise Liebermann, en même temps qu'il veut échapper aux revendications salariales qui font du personnel de l'Opéra, dans le spectacle, l'équivalent de ce qu'est celui des usines Renault dans l'industrie. Enfin, en dramatisant à l'extrême une situation particulière qui n'a jamais cessé d'être tendue, il espère sans doute forcer la main des syndicats. Le jeu est habile, rapide, brutal ; la partie sera serrée.

Prises de court, les organisations syndicales protestent, essaient d'étendre le conflit à l'ensemble des théâtres et organismes subventionnés, et procèdent à un référendum où le personnel de l'Opéra juge finalement « acceptables » les propositions du gouvernement et se prononce pour l'ouverture de négociations avec l'administration. Jean Salusse, président du conseil d'administration de la RTLN et homme fort du débat, fait connaître alors son plan de rétablissement :

– Dans la limite des dispositions légales, le personnel doit s'engager à effectuer les heures supplémentaires et les heures de nuit jugées nécessaires à la bonne marche de l'établissement, cela afin d'éliminer certaines relâches qui font l'objet de critiques légitimes.

– Le personnel devra respecter les dispositions conventionnelles sur le contrôle de l'absentéisme et sur la durée réelle du travail.

– Certaines pratiques devront être abandonnées, telles que le remplacement systématique des absents et le paiement des différences de grade en cas de remplacement.

– Rien ne s'opposant dans les textes à la liberté de recrutement des personnels techniques par l'administration, il devra être mis fin aux pratiques actuelles.

En outre, les durées de travail pour toutes les catégories du personnel seront harmonisées aux besoins du théâtre, les fonctions de chacune de ces catégories seront assouplies « de façon à ne plus constituer un obstacle au bon fonctionnement », l'autorisation sera accordée par les musiciens d'utiliser leurs enregistrements pour les représentations extérieures du corps de ballet, et les indemnisations excessives seront abolies, comme ce fameux trentième du salaire mensuel qui devrait être versé chaque jour au personnel en déplacement, ce qui revient si cher qu'on ne tourne plus depuis longtemps. Enfin (et c'est l'un des points les plus importants dans un domaine où la réglementation en vigueur ne contrôle plus du tout la situation et ne correspond en rien à l'évolution des techniques), l'administration de l'Opéra réclame le droit de diffuser les spectacles par radio, télévision, vidéo, disque, etc., en n'admettant d'accorder certaines compensations au personnel que « dans la mesure où celui-ci exécute un travail supplémentaire ».